INTRODUCTION
Puisque notre mode de consommation alimentaire (ce qu’on mange et ce qu’on boit régulièrement, sans oublier le tabagisme) s’apparente à celui des pays développés, alors à titre d’indice, voici, dénoncé une énième fois aux États-Unis, le scandale de la surconsommation du sucre encouragée par des sociétés agroalimentaires.

Selon l’endocrinologue le Dr Robert Lustig, ce sont les maladies chroniques métaboliques (dont principalement l’obésité, le diabète, les affections respiratoires, les maladies cardiovasculaires et rénales) qui sont avant tout à l’origine de tout ce dérapage financier, impliquant les déboursements pour les hôpitaux, les médecins et les laboratoires pharmaceutiques.
Voici un graphe qui nous permet de voir rapidement, en fonction de sa taille et de son poids, si on est obèse. Je mesure 1,67 m pour 75 kg : je suis donc en surpoids !
Tout d’abord pour les non-initiés en médecine, le métabolisme qu’est-ce que c’est? il faut savoir qu’une fois à l’intérieur de notre corps, les aliments mangés, subissent un éventail de réactions chimiques, qui ensemble forme ce que l’on appelle, le métabolisme.
Dans son excellent livre « Sucre l’amère vérité » (page 64) écrit après 16 ans de recherches, Dr Lustig affirme que le mode d’alimentation américain, est devenu le mode d’alimentation industrielle de la planète, à tel point que l’obésité est devenue une pandémie (épidémie à l’échelle mondiale). Ci-dessous l’obésité affectant la population américaine en 2017-2018, selon les ethnies :
- les Noirs ou Non-Hispanic black : 49,6%
- les Hispaniques : 44,8%
- les Blancs ou Non-Hispanic white : 42,2%
- les Asiatiques ou Non-Hispanic asian : 17,4%
Source NDDK accédé le 15/06/2023 Selon le Dr Lustig (page 66), la cause génétique explique cette disparité.
L’auteur nous explique (page 11) un paradigme essentiel et révolutionnaire : « toutes les calories ne se valent pas« .
Ci-dessous un schéma montrant l’évolution des dépenses de santé aux États-Unis pour 2019.

Effectivement, cette tendance des maladies chroniques s’apparente malheureusement à celle de la Polynésie. Selon la Direction de la santé, « l’Atlas du Diabète 2017 estime que la prévalence (ou cas existants) du diabète de type 2 en Polynésie française est de 22%, soit plus de 45 000 personnes (âge 20 à 79 ans) atteintes dont 22 000 non encore diagnostiquées !« . D’ailleurs depuis 2021 la Polynésie française a une prévalence du diabète la plus élevée au monde avec 27% (source : Published Statista by John Elflein Dec 14, 2021).
Ce qui explique que le secteur de la santé est devenu un GROS marché lucratif pour les fournisseurs de soins qui s’en sortent assez bien. En tout cas, c’est certainement un secteur qui montre peu de « destruction créatrice« , grâce à la nature non commerciale de l’activité de ses opérateurs. Ce constat devrait donc nous interpeller pour une sérieuse réflexion afin de mieux comprendre la problématique des dépenses de santé incontrôlées.
Mais, disons-le d’emblée, la politique de santé publique est avant tout UNE HISTOIRE DE SOUS, et dans cette histoire qui fâche, on a :
- D’un côté, le patient (l’acheteur) qui décide souverainement où et quand se faire soigner en déboursant peu.
- De l’autre côté, le médecin (le vendeur) qui, face à la demande, décide souverainement d’enclencher ou pas la consommation de soins. D’ailleurs, le fameux Dr Atul Gawande (Bill Clinton‘s healthcare lieutenant during the 1992 campaign; voir également sa présentation « How do we heal medicine?« ) parle du « redoutable stylo » du médecin comme une « machine à sous », pour multiplier les ordonnances médicales dont les dépenses sont prises en charge par le système de santé : « The most expensive piece of medical equipment, as the saying goes, is a doctor’s pen. And, as a rule, hospital executives don’t own the pen caps. Doctors do. If doctors wield the pen, why do they do it so differently from one place to another. » (voir aussi, André Grimaldi, Réinventer l’hôpital public, Textuel, Paris, Janvier 2005).
- Et, au milieu, la CPS (le payeur) qui essaye tant bien que mal de contrôler avec quelques « garde-fous » ces dépenses de santé initiées par le patient et confirmées par le « stylo » du médecin qui rédige l’ordonnance.
Avec un tel « cocktail » économique où le payeur n’est pas celui qui décide de l’achat, comprenez donc la difficulté à pérenniser la viabilité financière d’un système de santé.
Nous commettons souvent l’erreur de sous-évaluer la qualité exceptionnelle des « Think tank » américains, vu les mauvais résultats aux États-Unis en matière de système de santé et de prévention. Ces institutions de recherche sont une « oasis » dans un système libéral prépondérant. Le libéralisme a ses points forts comme ses points faibles ; tout est une question de discernement. Les États-Unis, certes, ne sont pas un exemple en matière de coût sanitaire. Néanmoins, ce pays reste encore une référence pour ses avancées technologiques dans le domaine médical et dans la gestion sanitaire. À ce titre, la France s’est souvent inspirée des méthodes américaines suivantes :
- La Rationalisation des Choix Budgétaires (RCB) ou Planning Programming Budgeting System (PPBS) lancée par Robert McNamara de la Rand Corporation, pour une analyse coût/efficacité appliquée dans le domaine de l’économie de la santé.
- La Tarification à l’Acte (T2A) inspirée de la classification américaine des DRG (diagnosis related groups). Cette réforme reprend les idées de la réforme de Medicare en 1983 aux Etats-Unis, idées qui ont mis plus de vingt ans à s’imposer en France, car introduites progressivement depuis 2004 dans le cadre du « Plan Hôpital 2007 ».
- Le Programme de médicalisation du Système d’Information (PMSI) ou Diagnosis Related Group, est un étalon pour mieux mesurer l’activité d’un établissement hospitalier ; conçu en 1973, par M. Fetter de YALE UNIVERSITY et M. Feldstein de HARVARD UNIVERSITY, mis en place et généralisé en France depuis 1995 (soit 22 ans après) pour calculer l’Indice Synthétique d’Activité (ISA) ; ISA = le total des Frais de fonctionnement divisé par l’Activité médicale exprimée en points. Ainsi, un point ISA élevé représente une faible productivité. Selon le « Plan Hôpital 2007 » en France, les anciens critères de gestion, tels le nombre d’entrées à l’hôpital et le prix à la journée, sont maintenant révolus, car ne mesurant pas réellement la performance économique d’un établissement.
- La coordination des soins ou Managed Care Organisation (MCO), initiée aux États-Unis en 1930 par la KAISER-PERMANENTE et reprise en France 74 ans plus tard sous le concept appelé « Parcours de soins ». C’est la grande réforme de 2004, qualifiée de « réforme de la dernière chance » par le Ministre Douste-Blazy en France, pour rationaliser l’organisation de la production des soins et atténuer la grande circulation coûteuse des patients, à l’intérieur du système de santé.
- « Gate keeping » transposé en médecin traitant et médecin correspondant ;
- « Managed Care » ou « Health Maintenance Organization » (H.M.O.) transposé en réseaux coordonnés de soins entre plusieurs acteurs ;
- « Guidelines » transposé dans le programme de « Maîtrise Médicalisée » en Références médicales opposables (R.M.O.) et Recommandations de pratique clinique (R.P.C.).
Dans la présente réflexion, je ferai souvent référence aux États-Unis, car une grande quantité d’information sur son système de santé est disponible sur internet. De plus, ce cas m’interpelle sur plusieurs points :
- C’est le pays qui fascine et qui inspire beaucoup le monde occidental pour son réseau performant de laboratoires de recherche et ses nouvelles méthodes de gestion en économie de la santé. L‘Opération WARP SPEED qui a permis de sortir en un temps record les vaccins contre la Covid-19 (dont la technique ARN messenger n’altère pas notre génome et n’est donc pas une thérapie génique ou de l’OGM), est un exemple édifiant : voir l’article de l’AFP du 27/11/2020 L’opération « Warp Speed » de Trump a payé, pour le monde entier. Malgré notre dédain pour sa vanité, rendons donc à César ce qui est à César.
- C’est le pays qui, avec son système libéral outrancier le plus coûteux au monde pour un patient, n’a pas encore pu assurer l’égalité d’accès aux soins, chère à nos principes de la justice sociale. Par exemple, en 2019, plus de 30 millions d’américains n’avaient pas encore de couverture maladie (Uninsured). Même les grands centres de recherche américains spécialisés dans l’économie de la santé, comme The Peterson Center on Healthcare and KFF (Kaiser Family Foundation), reconnaissent la piètre performance de leur système de santé (« … in most of these measures, the U.S. continued to lag behind comparably wealthy and sizable countries« ). Espérons que cette humilité intellectuelle permettra à l’Amérique de se surpasser.
- C’est le pays qui, à s’y méprendre, nous montre la tendance mondiale que tous les pays atteignant un PIB élevé risquent de suivre :
- une hausse en % des dépenses de santé plus rapide que la croissance en % du PIB ;
- une hausse des dépenses de santé par habitant ;
- une hausse de l’utilisation et du coût de la technologie médicale ;
- une hausse des dépenses liées aux maladies chroniques telles l’obésité, le diabète, les affections respiratoires, les maladies cardiovasculaires et rénales ;
- une hausse de la durée de vie impliquant une hausse de la prévalence des maladies dégénératives ;
- une hausse de la tranche de retraités par rapport à la population active.
L’économie de la santé plus que jamais apparaît donc comme une « science lugubre » (« dismal science« ). Elle met le payeur du système de santé face à la quadrature du cercle : maîtriser nos dépenses de santé, sans toucher à la liberté du patient et du médecin qui tend à faciliter la surconsommation de soins. L’exercice est difficile et chaque pays a son propre système de santé selon sa culture. Ici, nous avons décidé de « tauturu » sans compter avec notre PSG couvrant en 2018 désormais 98,2% de la population polynésienne contre 72% en 1995. D’où les prestations de la (PSG) ont atteint 119 milliards XPF en 2018; soit 21,4% du PIB!
Rappelons que le total de nos « dépenses courantes » de santé comprend :
- les Consommations de Soins et de Biens Médicaux (CSBM) qui concourent au traitement d’une perturbation provisoire de l’état de santé ;
- les soins de longue durée ;
- les indemnités journalières ;
- les dépenses de prévention ;
- les dépenses du système de soins ;
- et les coûts de gestion du système de santé.
Dans mon article de juillet 2018 intitulé « Notre santé publique malade d’un manque de concurrence » j’ai actualisé nos « dépenses courantes« de santé de 2015 à 80 milliards Xpf pour atteindre 14,4% de notre PIB contre 11% en France et 16,9% aux États-Unis.
Face à ces milliards qui donnent le tournis, je porterai donc la présente réflexion sur les difficultés à maîtriser nos dépenses de santé, à partir de ma note de 2005 que je viens d’actualiser. Je reconnais d’emblée le caractère controversé du sujet, selon que l’on est : patient-consommateur-de-soins, producteur-de-soins ou payeur-de-soins. Assumons cette responsabilité financière, malheureusement toujours sans l’obligation constitutionnelle de l’État dans le financement de nos dépenses de santé.
Ci-dessous le sommaire de la présente réflexion :
- L’économie de la santé : une approche plus ciblée
- La prévention et le potentiel exceptionnel de la biogénétique
- La médecine libérale dans le système de santé :
- Le Lien spécial entre le patient et son médecin doté d’un POUVOIR MEDICAL légalement sécurisé par l’État
- L’importance du secteur de la médecine libérale
- La médecine libérale : un intérêt commun avec le payeur ?
- Le défi du contrôle des dépenses de santé
- Le déséquilibre économique permanent
- Le paradoxe de l’offre et de la demande de soins
- Le Paiement à l’acte conforté par le système de financement
- Les choix pour une meilleure maîtrise financière
- Le manque de transparence des frais de fonctionnement de la CPS
- La quadrature du cercle
- Conclusion : Quel modèle économique retenir?
1/ L’ECONOMIE DE LA SANTE : UNE APPROCHE PLUS CIBLEE
Pour ceux qui découvrent l’économie de la santé, cette matière a émergé aux États-Unis dans les années 1950. Trois personnes sont souvent citées comme fondateurs de l’économie de la santé :
- Kenneth Arrow : « Uncertainty and Welfare Economics of Medical Care » 1962
- Mickael Grossman : « On the Concept of Health Capital and the Demand for Health » 1972
- Martin Stuart « Marty » Feldstein (1939-2019)
Selon Kenneth Arrow, prix Nobel américain de l’économie en 1972, il n’est pas toujours possible de hiérarchiser des préférences au sein d’une collectivité (théorème d’impossibilité). Par exemple, à partir de trois propositions A, B et C (trois candidats à une élection ou trois décisions budgétaires), telles que A est préféré à B pour certains, B à C pour d’autres, et C à A pour un dernier groupe, l’opération de transitivité des choix conduit à une équation du type A > B > C > A. Les décisions politiques ou économiques, prises au niveau collectif, découlent alors nécessairement d’un arbitrage imparfait. Ce résultat conduit à séparer l’aspect démocratique d’un État et la légitimité de ses décisions, donc à remettre en cause l’interventionnisme économique.
Avec la démonstration du théorème d’impossibilité, Arrow a mis en cause la capacité de l’État à répondre aux préférences des citoyens collectivement, ce qui a permis le développement de la théorie des choix publics. Par conséquent, si l’on décide politiquement d’assumer le bien-être collectif de sa population, un rôle plus fort des pouvoirs publics (au détriment parfois de la profession libérale), est nécessaire pour la cohésion du système de santé; Kenneth J. Arrow, « Uncertainty and the welfare economics of medical care », American Economic Review, Vol 53, 1963.

Cette spécialisation s’est affirmée en France vers 1973. À partir des années 1980, l’économie de la santé s’est progressivement constituée en sous-discipline scientifique, dotée d’un important degré d’autonomie (voir IRDES L’économie de la santé Bibliographie thématique Avril 2019). Le livre de Béatrice Majnoni d’Intignano, « Economie de la santé, Paris » PUF 2001 est une excellente introduction au sujet.

Une des particularités de l’économie de la santé est, par exemple, l’indicateur de l’Espérance de vie corrigée de l’incapacité (EVCI) qui selon Wikipédia « est un mode d’évaluation du coût des maladies mesurant l’espérance de vie en bonne santé. On soustrait à l’espérance de vie le nombre d’années « perdues » à cause de la maladie, du handicap ou d’une mort précoce. On utilise souvent l’acronyme anglais DALY (pour Disability Adjusted Life Years), c’est-à-dire le nombre de ces années perdues, comme unité de mesure pour exprimer le résultat de ce calcul tandis que, stricto sensu, l’équivalent anglophone de l’EVCI est DALE (Disability Adjusted Life Expectancy). L’EVCI est une mesure de plus en plus utilisée en santé publique, notamment pour l’évaluation des systèmes de soin. Elle a été retenue par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) parmi ses cinq axes et outils d’évaluation des systèmes de santé pour mesurer le « niveau de santé général » d’une population« .

Selon cet indicateur rapporté sur 100 000 personnes (avec ajustement pour l’âge ou standardisation pour l’âge, afin de comparer des populations lorsque leurs structures d’âge sont différentes), plus le total est élevé en années perdues à cause d’une mortalité prématurée avant 70 ans, moins le système de santé en question est performant. Le tableau ci-dessous montre que les États-Unis ont cumulé 24 306 années comparés aux 17 833 de la France. Cocorico !

L’économie de la santé tente aussi de trouver des « liens de cause à effet » entre la santé et l’économie. Attention, dans les études scientifiques, l’emploi du mode conditionnel est de rigueur pour tenir compte du risque de se tromper. L’honnêteté intellectuelle impose que la vérité absolue (scientific truth) n’existe pas en science. Ethan Siegle, Ph.D. astrophysicist, nous résume sur la question : « What Does ‘Truth’ Mean To A Scientist?«
- « There are no absolute truths in science; there are only approximate truths.
- Whether a statement, theory, or framework is true or not depends on quantitative factors and how closely you examine or measure the results.
- Every scientific theory has a finite range of validity: inside that range, the theory is indistinguishable from true, outside of that range, the theory is no longer true.
- All of our scientific truths are provisional, and we must recognize that they are only models or approximation of reality.
- No experiment can ever prove that a scientific theory is true.
- There are not absolute truths, but approximate, provisional ones.
- We can only demonstrate that its validity either extends or fails to extend to whatever regime we test it in.
- The failure of a theory is actually the ultimate scientific success : an opportunity to find an even better scientific truth to approximate reality. It’s being wrong in the best way imaginable.«
Dans un article intitulé « Suicide in French Polynesia : a retrospective analysis based on medicolegal documents and interview with family » publié le 14/09/2021 dans le Journal of International Medical Research, le co-auteur Dr Stéphane Amadeo, ancien chef du service psychiatrique au CHPF tente de démontrer qu’une crise économique représente « un risque élevé d’augmentation » du nombre de suicides en Polynésie française. Cette étude s’est basée sur un échantillon de 316 cas tirés d’une population de 767 suicides étudiés de 1992 à 2016. Elle tente d’établir une corrélation entre la survenance des crises politico-économiques et l’augmentation de suicide en Polynésie française. Quatre pics de taux de suicide ici, en 2002, 2005, 2008 et 2012 « pourraient avoir été liés à des crises économiques ou sociales majeures ».
Par exemple, le pic de suicide en 2005 serait une conséquence du « Taui » correspondant « à un changement de politique local majeur suivi d’une période d’instabilité politique anxiogène« avec « une victoire inattendue du parti indépendantiste en 2004, qui a ensuite été suivie de multiples changements d’alliances avec plus de douze gouvernements successifs jusqu’en 2011« . « The peak in the suicide rate in 2005 could correspond to a major local political change followed by a period of anxiety-provoking political instability. There was an unexpected victory for the pro-independence party in 2004, which was then followed by multiple changes of alliances with more than twelve successive governments until 2011. » Le « Taui » aurait donc conduit aussi au déclenchement de l’acte. En revanche, le pic du taux de suicide en 2012 serait expliqué par un effet « Werther » par lequel les médias en relayant les suicides, « facilitent » à commettre l’acte fatal du suicide (suicide mimétique). Par ailleurs, toujours selon cet article scientifique, la dégradation de l’économie polynésienne aurait provoqué les pics de suicide de 2002 et de 2008 :
- Les attentats du 11 septembre 2001 à New York ayant entrainé ici la perte d’environ 80 000 touristes en un an : l’interruption des vols vers Papeete d’AOM-AirLib en mars 2002 et la disparition de la compagnie Renaissance Cruises.
- La crise financière de 2008, ayant provoqué ici la perte de 43 000 touristes et 3 000 emplois salariés dans les deux années qui ont suivies.
Mais attention, dans mon article réchauffement climatique n° 4/16, je rappelle la règle élémentaire en statistiques : deux événements peuvent être corrélés (reliés) sans pour autant avoir des rapports de cause à effet. Exemple : ce n’est pas parce qu’une majorité de femmes enceintes (85% selon certaines études) ont des nausées en début de leur grossesse, que l’on doit conclure à une grossesse avérée. La femme qui a des nausées peut avoir mangé une nourriture infectée de salmonelles et ne pas être enceinte. On a donc ici le même effet final (les nausées) mais pas pour la même cause (symptômes de grossesse contre infection alimentaire).
En revanche, on peut raisonnablement conclure que la mauvaise conjoncture politique, économique et sociale n’a pas arrangé la problématique du suicide qui concerne souvent des personnes du secteur privé ne jouissant pas de la sécurité de l’emploi. Ci-dessous les derniers chiffres 2011-2015 du Ministère de la santé page 16/21 :
- Nombre de suicides effectifs moyens par an : 27,6 contre 16,4 pour les accidents de transport
- Part de la cause de suicide sur l’ensemble des causes de décès : 2% contre 1,2% pour les accidents de transport
- Taux de mortalité par an, standardisé sur l’âge pour 100 000 habitants : 9,2 suicides contre 13,8 pour la France en 2019, selon la Banque mondiale
D’autres indicateurs permettent de mesurer l’économie de la santé d’un pays. Le centre IHME est certainement le leader mondial en économétrie de la santé publique.
2/ LA PREVENTION ET LE POTENTIEL EXCEPTIONNEL DE LA BIOGENETIQUE
La problématique en santé publique a deux facettes qu’il faut distinguer :
- en amont, la stratégie de prévention dont les résultats sont malheureusement attendus au bout de plusieurs années;
- en aval, l’offre de soins dont le résultat s’impose dans immédiat au risque d’une mortalité prématurée!
Evitons donc cette confusion « à référence circulaire » souvent rencontrée dans un débat où :
- on aurait moins de soins à fournir, si on avait moins de malades ;
- on aurait moins de malades à soigner, si on avait une bonne prévention;
- avec une bonne prévention mise en place, on aurait eu moins de soins à fournir et donc moins de dépenses de santé;
- et la boucle est bouclée!

Source : https://www.nasbla.org/advocacy/public-health
Donc ne « noyons pas le poisson » au risque d’éviter le débat de fond. Essayons plutôt de répondre à la question pressante suivante :
- Comment soigner pour moins cher et mieux nos malades ?
- Et non pas : « comment avoir moins de malades ? », qui est un autre débat de fond, effectivement tout aussi important.
Nous savons tous que le préalable à un meilleur contrôle des dépenses de santé, à long terme, est une bonne politique de prévention et d’éducation de nos populations pour lutter contre :
- le tabagisme;
- les mauvaises habitudes alimentaires (la « malbouffe ») et l’obésité pour laquelle un nouveau remède serait bientôt disponible pour contrôler notre penchant pour la gourmandise : voir l’article scientifique publié le 27/06/2022 dans Nature Metabolism : “AgRP neurons control food intake behavior at cortical synapses via peripherally-derived lysophospholipids ». Selon cette découverte majeure l’inhibition (blocage, ralentissement d’une réaction chimique ou diminution de l’activité d’un élément sous l’action du système nerveux ou d’une hormone) de l’enzyme autotaxin devrait pouvoir ralentir notre gourmandise : « A group of scientists has developed an entirely new approach to treating eating disorders. They showed that a group of nerve cells (so-called AgRP, agouti-related peptide neurons) in the hypothalamus control the release of endogenous lysophospholipids, which in turn control the excitability of nerve cells in the cerebral cortex, which stimulates food intake. In this process, the crucial step of the signaling pathway is controlled by autotaxin, an enzyme that is responsible for the production of lysophosphatidic acid (LPA) in the brain as a modulator of network activity. Administering autotaxin inhibitors can thereby significantly reduce both excessive food intake after fasting and obesity in animal models.«
- l’alcoolisme;
- la sédentarité;
- et tous les comportements à risques, en général.
À ce sujet, la biogénétique nous réserve un avenir exceptionnel pour la prévention. À titre indicatif, en 2013-2014, j’avais proposé en vain au Pays un projet de Lutte Anti Vectorielle (LAV) avec mon partenaire Oxitec, leader mondial de la biotechnologie (ingénierie cellulaire) du moustique Aedes aegypti génétiquement modifié (OGM). Cette solution génétique révolutionnaire permet d’éliminer lors de son accouplement l’Aedes aegypti, le vecteur principal de la dengue, du zika et du chikungunya. Elle était en tout cas une meilleure option que les pulvérisations d’insecticides.
Malheureusement, selon la frise chronologique en bas de la carte ci-dessous de l’Organisation Mondiale de la Santé (WHO) datée du 14 avril 2016, la Polynésie française est maintenant « fichée » pour avoir été en 2013 le foyer initial de la pandémie du Zika. Quelle triste référence mondiale pour notre industrie touristique.

Voir aussi cette même frise chronologique dans le livre « ZIKA, The emerging epidemic » de Donald G. McNeil Jr aux pages 8-9.

Vu le caractère novateur de cette biotechnologie, selon un article de Nature du 03/05/2021 la procédure pour la faire approuver par les autorités sanitaires des Etats-Unis est un véritable « chemin de croix ». Ci-dessous le « parcours du combattant » suivi par Oxitec jusqu’à présent :
- March 2010: Oxitec submits a request to the US Department of Agriculture (USDA) to run a field trial with its genetically modified mosquitoes.
- October 2011: The USDA says it doesn’t have regulatory jurisdiction over Oxitec’s mosquitoes.
- November 2011: The US Food and Drug Administration (FDA) claims jurisdiction over regulating the mosquitoes, so Oxitec submits an application to the agency for a trial in Key Haven, Florida.
- August 2016: The FDA approves the trial. The start date depends on the Florida Keys Mosquito Control District (FKMCD) board’s approval of mosquito-release locations.
- November 2016: Key Haven residents vote against the trial in a referendum, but elsewhere in Monroe Country, Florida, enough residents vote in favour of it to keep the project afloat.
- October 2017: The FDA transfers jurisdiction of Oxitec’s mosquitoes to the US Environmental Protection Agency (EPA).
- March 2019: Oxitec transitions to a second-generation mosquito because of advances in technology and requests from the EPA an experimental permit to conduct field trials in Monroe County.
- April 2020: The EPA green-lights the project.
- August 2020: The FKMCD board votes to proceed with the trial.
- April 2021: The trial begins as boxes of genetically engineered mosquitoes are placed in Monroe County’s Cudjoe Key, Ramrod Key and Vaca Key.
A ce jour, Oxitec poursuit sa stratégie de prévention en santé publique avec son fameux projet de 2021 en Floride, en étroite collaboration avec The Florida Keys Mosquito Control District (FKMCD) et son autre projet de 2022 avec l’état de la Californie. En France, cette initiative est vue par Romain Pomian-Bonnemaison journaliste de Presse-citron, plutôt comme une intervention positive : « Les Etats-Unis vont libérer 2 milliards de moustiques OGM… faut-il s’inquiéter ? »
Au 18/04/2022, selon le journal scientifique NATURE, son projet 2021 en Floride a commencé à donner des résultats positifs : « Oxitec reports that its insects behaved as planned — but a larger trial is needed to learn whether they can reduce wild mosquito populations« . Cette nouvelle a été relayée en France le 20/04/2022 dans le journal l’Indépendant : « Une société de biotechnologie a livré les premiers résultats positifs de l’introduction en plein air de moustiques génétiquement modifiés afin d’en réduire la population. »

Paul I. Howell, MPH; Prof. Frank Hadley Collins/Centers for Disease Control and Prevention (CDC) (Image Number : 9534)
Aux détracteurs d’Oxitec anti-OGM, attendons les résultats. Ils intéresseront certainement la Polynésie, car ces terribles épidémies nous ont coûtés non seulement des milliards xpf en dépenses de santé (voir la Grande Expo de Juin 2015), mais aussi malheureusement des vies humaines.

En concurrence à cette offre Oxitec, est le procédé de l’Université de Monash à Melbourne qui utilise depuis 2011 la bactérie Wolbachia pour infecter le moustique (Aedes aegypti ou Aedes polynesiensis) et neutraliser ainsi sa capacité à transmettre les virus tels de la dengue, du zika et du chikungunya. Depuis 2018, la Nouvelle Calédonie (plus spécifiquement ville de Nouméa) a retenu ce procédé qui confirme son efficacité au 04/08/2021. L’Institut Louis Malardé (ILM) vient de développer une variante de cette technologie. C’est tant mieux pour le Pays car en tant qu’acteur privé, il m’était difficile de concurrencer des fonctionnaires de l’ILM. Qui plus est, pour mettre au point leur procédé, bénéficiaient de fonds publics depuis au moins 2007, date de la première importation de la bactérie Wolbachia (voir l’arrêté CM n°1392 du 17 octobre 2007). Mais peu importe et vive la biotechnologie sécurisée pour notre environnement et performante sur le plan scientifique et économique.
Postface au 09/05/2022 : Selon l’article publié le 4 mai 2022 dans NATURE « Mosquito brains encode unique features of human odour to drive host seeking« , des chercheurs de l’Université de Princeton ont découvert que les moustiques sont attirés par l’odeur d’acide lactique dans la sueur humaine constituée de deux composés organiques bien précis :
Le cerveau du moustique est constitué de 60 système nerveux (appelés glomérules) dont 2 seulement sont utilisés par son système de récepteur olfactif pour détecter l’odeur d’acide lactique dans la sueur humaine :
- Le premier glomérule agit comme un lanceur d’alerte, signalant les odeurs à proximité, peu importe lesquelles.
- Le second glomérule confirme s’il s’agit bien d’une odeur humaine.
Donc une meilleure compréhension scientifique de cette « inféodation » du moustique à l’homme permettra à terme :
- de l’attirer dans un piège mortel;
- ou d’imaginer des répulsifs qui bloqueraient spécifiquement ce signal olfactif, empêchant ainsi le moustique de repérer les humains à l’odeur.
Postface au 07/09/2022 : Dans un article du 7 septembre 2022 : « Les lâchers de moustiques modifiés pour lutter contre la dengue, le chikungunya ou la fièvre jaune« , est mentionné le procédé d’Oxitec (technique RIDL : release of insects carrying a dominant lethal gene, ou lâcher d’insectes porteurs d’un gène de létalité dominant) qui serait, à ce jour, LE SEUL procédé ayant atteint un niveau opérationnel : les moustiques mâles qui, contrairement aux femelles, ne piquent pas, sont génétiquement modifiés. Leur descendance meurt avant d’atteindre l’âge adulte. Cette technique a reçu en mars 2022 l’autorisation de l’Agence américaine de protection de l’environnement pour démarrer un essai en Floride consistant à disséminer des œufs de moustiques Aedes aegypti génétiquement modifiés dans la nature pendant trois mois.
Quant au débat du « pour ou contre les OGM« , je me réfèrerai à un de mes auteurs préférés en la matière : Jean de Kervasdoué qui a écrit d’excellents ouvrages pour dénoncer la tendance hypochondriaque de certains écologistes qui n’ont finalement que des SOLUTIONS UTOPIQUES à proposer pour régler nos graves problèmes liés :
- à l’insuffisance de la production alimentaire : voir à la Conclusion dans mon article n°12/16 les limites de la croissance de notre monde fini;
- au réchauffement climatique : voir à la Conclusion du débat scientifique sur le réchauffement climatique dans mon article n°10/16;
- à l’énergie : voir dans mon article n°15/16 L’objectif mondial de 100% d’EnR est donc irréaliste.



Ecarter Oxitec parce que c’est de l’Organisme Génétiquement Modifié (OGM) relève d’une décision « spécieuse » car ce débat « OGM contre organique » n’est plus pertinent pour relever le défi de nourrir une population mondiale qui continue de croître : 7,8 milliards en 2021.
L’article « OGM : 100 Prix Nobel contre la campagne de Greenpeace » réaffirme l’importance des OGM : « Opposition based on emotion and dogma contradicted by data must be stopped. » Voici la version française de cet appel mondial à la raison par les 158 Prix Nobel. C’est un fait : les OGM sont partout dans notre vie quotidienne !

Que les anti-OGM de tout poil, soutenus par certains scientifiques cessent leur combat hypocrite. En santé publique, rappelons que par exemple l’insuline du Lantus (première marque d’insuline au monde ou « blockbuster » du laboratoire français SANOFI détenu à 77% par les institutionnels et ayant dégagé un bénéfice net de 7,4 milliards d’euros en 2013), est issue d’une technique d’OGM appelée ADN (acide désoxyribonucléique) recombinant ou recombiné qui « est une molécule créée en laboratoire composée de séquences nucléotidiques provenant de plusieurs sources créant ainsi des séquences qui n’existent pas dans les organismes vivants« .


Notons au passage l’histoire riche d’enseignements de la découverte de l’insuline à l’Université de Toronto au Canada, par Frederick Banting et John Macleod, qui reçurent le prix Nobel (1923). Depuis l’époque de cette découverte, l’insuline utilisée par les patients atteints de diabète de type 1 pour leurs injections était un sous-produit de l’industrie de la viande : elle était extraite de tissus de vaches ou de porcs. Or, pour la première fois, la collaboration Genentech – City of Hope allait permettre aux malades d’accéder à de l’insuline humaine, grâce au « clonage » et à « l’expression réussis » du gène de l’insuline. Cette réussite constitua une victoire décisive. Elle permit notamment de gagner les cœurs et les esprits du public et des médias, qui craignaient jusque-là cette nouvelle technologie.

L’autre protéine thérapeutique, l’érythropoïétine (EPO) pour détoxifier le sang de nos dialysés, est également de l’ADN recombinant.
On devrait donc arrêter ce combat hypocrite contre les OGM, car les diabétiques et les dialysés dépendent des OGM pour se maintenir en vie :
- les 463 millions en 2020-2021 de diabétiques dans le monde qui ont besoin de « s’injecter » tous les jours de l’insuline; d’ailleurs, la Polynésie française est maintenant depuis 2021 le pays qui a une prévalence (cas existants) du diabète la plus élevée au monde avec 27% (source : Published Statista by John Elflein Dec 14, 2021);
- les 10% de la population mondiale affectés d’insuffisance rénale (estimation pour 2021-2022 : 8 milliards x 10% = 800 millions!) dont environ 3,7 millions de patients atteints de cette maladie dans le monde, ont la chance de pouvoir régulièrement se faire dialyser pour détoxifier leur sang à l’aide d’EPO.
Dans un article du 22 avril 2019 « GMOs Have Benefits for the Environment« , le généticien Michael Stebbins affirme :
- qu’en 2016, la production issue des OGM a permis de réduire nos émissions de CO2 pour l’équivalent de 16,7 millions/an de véhicules circulant sur les routes;
- que sur les 20 dernière années, la production issue des OGM a permis :
- de réduire de 8,2% l’utilisation des pesticides; n’oublions pas le fameux message de Rachel Carson dans son livre « Un printemps silencieux« ; à ce sujet voir mon article « Pulvérisation du deltaméthrine : notre « printemps silencieux » ?
- d’augmenter la production alimentaire mondiale de 22% nous éloignant donc un peu plus du risque d’une famine mondiale. Selon l’ONU la production mondiale alimentaire devrait croître de 70% de 2009 à 2050 pour répondre à la croissance de la population mondiale. A ce sujet, ci-dessous le diagramme qui montre plusieurs scénarios de l’évolution de la population mondiale. Comme annoncé dans le fameux rapport « Limit to Growth » de 1972, nous sommes peut-être dans une logique de déclin terminal de la croissance économique mondiale et donc d’un effondrement de la civilisation humaine aux alentours de 2040 (voir mon article sur le réchauffement climatique n°12/16).

sources : Nations unies, Projections de population 2013 ; 1800-1950 : estimations US Census Bureau
Par ailleurs, la fameuse biotechnologie CRISPR-Cas, pour modifier le génome, pourrait révolutionner le traitement de certains cancers métastatiques. En novembre 2020 déclarait le professeur Pairs de Dan, chef du laboratoire de précision Nanomedicine, école de Shmunis de la biomédecine et de la cancérologie, université de Tel Aviv :
« C’est la première étude au monde pour montrer que le système de retouche de génome de CRISPR peut être employé pour traiter le cancer efficacement chez un animal vivant. Il est à préciser que ce n’est pas de la chimiothérapie. Il n’y a aucun effet secondaire, et une cellule cancéreuse traitée de cette façon ne deviendra de nouveau jamais active. Les ciseaux moléculaires de Cas9 ont coupé l’ADN de la cellule cancéreuse, le neutralisant de ce fait et évitant de manière permanente la réplication. »
De nouveaux progrès ont également été obtenus dans le développement d’un vaccin contre le cancer, grâce au CRISPR-Cas9; voir SciTechDaily du 05/01/2023. « A simple idea: to take cancer cells and transform them into cancer killers and vaccines,” said corresponding author Khalid Shah, MS, PhD, director of the Center for Stem Cell and Translational Immunotherapy (CSTI) and the vice chair of research in the Department of Neurosurgery at the Brigham and faculty at Harvard Medical School and Harvard Stem Cell Institute (HSCI). “Using gene engineering, we are repurposing cancer cells to develop a therapeutic that kills tumor cells and stimulates the immune system to both destroy primary tumors and prevent cancer.”

De plus, dans article du 16/07/2022 intitulé « CRISPR cure for high cholesterol enters first human trial. It could permanently lower cholesterol — and permanently reduce your risk of having a heart attack » (voir FreeThink Kristin Houser), on lit que la technique CRISPR sera maintenant testée sur les premiers humains en Nouvelle Zélande, après ses résultats concluants pour combattre le mauvais cholestérol (LDL) sur des singes. « The new treatment: Verve Therapeutics’ cholesterol treatment takes a different approach. It is designed to permanently deactivate a gene in the liver that controls the production of PCSK9 — a protein that prevents the removal of excess cholesterol from the body. In monkey trials, it reduced LDL cholesterol levels by 70% in just two weeks and kept them low for at least two years — suggesting that it could effectively cure high cholesterol in people« .
On apprend aussi qu’en septembre 2021 la première tomate rouge de Sicile génétiquement modifiée par CRISPR a été commercialisée au Japon par la start-up Sanatech Seed. « Cette tomate rouge à haut Gaba » produit en moindre quantité l’enzyme qui « casse » l’acide gamma-aminobutirique (Gaba), un neurotransmetteur inhibiteur du système central. Le Gaba serait associé à une diminution du stress, une amélioration de la régulation de l’humeur, et une moindre tension artérielle. Génétiquement modifiée, elle contient cinq fois plus de Gaba qu’une tomate ordinaire. »

Donc au lieu d’être « bêtement » anti-OGM sans admettre les avancées scientifiques ci-dessus, encourageons plutôt la biotechnologie pour qu’elle continue à nous donner de nouvelles pistes pour renforcer notre stratégie de prévention et de traitement.
3/ LA MEDECINE LIBERALE DANS LE SYSTEME DE SANTE
Notre Caisse de Prévoyance Sociale (CPS) comme la Sécurité sociale en France, a choisi pour notre système de santé la combinaison la plus coûteuse pour sa médecine privée :
- La liberté du patient pour choisir son médecin, encourageant ainsi le problème du nomadisme médical et fragilisant la stratégie de coordination des soins : le fait de changer souvent de médecin traitant et d’en consulter plusieurs pour une même pathologie. Heureusement que la contrainte d’un médecin référent se fait ainsi jour.
- La rémunération exclusive à l’acte des médecins libéraux : le principe du paiement « à guichet ouvert » où la CPS règle au fur et à mesure que sont présentés les actes médicaux.
Malheureusement, quasiment tous les économistes de la santé s’accordent à dire que ces deux piliers de la Chartre de la médecine libérale du 30 novembre 1927 sont difficilement compatibles avec une bonne politique de maîtrise des dépenses de santé. Cette Charte contient, entre autres, les préconisations suivantes :
- Respect absolu du secret professionnel ;
- Droit à des honoraires pour tout acte médical ;
- Liberté thérapeutique et de prescription ;
- Représentation des syndicats de médecins dans les caisses.
Le Lien spécial entre le patient et son médecin doté d’un POUVOIR MEDICAL sécurisé légalement par l’État
Le médecin jouit d’une relation privilégiée avec son patient :
- Pour la demande de soin : Le patient devient le demandeur de soins en choisissant son médecin. C’est un choix personnel sacré. Il n’est pas du tout basé sur le critère de prix. Le médecin est vu comme un sauveur et pas seulement comme un simple acteur économique ; d’où la difficulté lorsqu’on veut imposer un médecin pour mieux coordonner la chaîne de soins. D’ailleurs, lors de grèves des médecins sur Tahiti, constatez la stratégie consistant à demander à la population de protéger SON TAOTE.
- Pour l’offre de soins : Le médecin choisi par le patient devient le producteur de soins. Etant doté d’un POUVOIR MEDICAL EXCLUSIF par l’Etat, le médecin connaissant SEUL l’état de santé de son patient (grâce à l’asymétrie d’information) peut donc décider SEUL de l’opportunité d’enclencher la consommation de soins : achats de médicaments, analyses supplémentaires, intervention chirurgicale ou hospitalisation. Et c’est « là où le bât blesse », car le médecin, étant le SEUL à satisfaire la demande de soins, se met aussi indirectement du côté de la demande de soins. Certes, le payeur (la CPS) peut en cas de doute médical faire contrôler par ses médecins de caisse. Mais ce contre-pouvoir a peu d’effet pour contenir les dépenses de santé. A ce sujet, selon une étude de Février 2005 « Les Européens, les médicaments et le rapport à l’ordonnance : synthèse générale » IPSOS Santé pour la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie, 90% des consultations en France donnaient lieu à une prescription médicamenteuse. Par ailleurs, la judiciarisation ou la propension à privilégier le recours aux tribunaux pour trancher des litiges qui pourraient être réglés par d’autres voies (médiation, accord amiable), appelée « Malpractice » aux Etats-Unis, pousse les médecins à multiplier des analyses complémentaires, pour se prévenir de procès, en cas d’erreur médicale.
Il est vrai, qu’au moindre doute sur son état de santé ou lorsqu’on a mal dans sa chair, on fait appel sans réserve à un médecin et à tout ce que la technologie médicale peut nous apporter de bien, quel qu’en soit le coût pour la collectivité. Donc la demande de soins est une nécessité de survie, surtout si le système de santé incite à consomme plus vu cette impression de gratuité des soins ; prestige politique oblige pour tout gouvernement soucieux d’une bonne politique de protection sociale.
Après tout, qui veut courir le risque de mourir si tôt, si la science permet de repousser toujours plus loin l’échéance de la mort. Même pour le cas de patients condamnés, que la médecine ne peut plus sauver de la mort, le droit français accorde un traitement pour accompagner dignement le malade dans sa fin de vie. A ce sujet, le Dr Atul Gawande dans son livre « Nous sommes tous mortels, nous dit ce qui compte vraiment en fin de vie. Le débat n’est alors plus médical mais devient morale. On rentre ainsi dans la conscience, dans l’esprit, dans l’intelligence et dans la pensée pour avoir une meilleure attitude face à la mort.

D’où l’adage : la santé n’a pas de prix car on a tous « un droit à la vie »; malheureusement elle a aussi un coût. Mais jusqu’où peut-on pousser cet argument quand le financement du système de santé est mis à mal.
Notre système de soins de santé universel porte donc en lui, les germes destructeurs qui le frapperont durement dans sa capacité financière à long terme. Et c’est « là où le bât blesse » encore, car en quelque sorte, l’ennemi est en nous. Se priver de soins quasi-gratuits, est une antinomie ; ce qui fragilise notre Protection Sociale Généralisée (PSG) actuellement si généreuse : 22,7% du PIB en 2020!

L’importance du secteur de la médecine libérale
Pour les Etats-Unis, la santé de chaque personne, relève plutôt de la responsabilité de l’individu et non de la collectivité. Donc tant pis pour les 30 millions d’américains « Uninsured« qui n’avaient pas de couverture maladie en 2019 (voir le schéma infra). Par ailleurs, la médecine libérale occupant une place prépondérante explique en grande partie que les Etats-Unis sont « empêtrés » dans leur système de santé devenu le plus coûteux au monde pour les patients. MSH a comparé quelques coûts de santé en France et aux USA (secteur public et privé réunis) :
- Le prix d’une consultation chez un médecin généraliste aux États-Unis varie entre 12 240 xpf et 23 460 xpf, contre 2 983 xpf en France et 3600 xpf en Polynésie; soit 3,4 à 6,5 fois plus qu’ici;
- Une consultation chez le pédiatre américain atteint 20 400 xpf en moyenne, contre 3 818 xpf en France; soit 5,3 fois plus;
- Le coût moyen d’un accouchement 1,7 million xpf à 3 millions xpf sur le sol américain contre 286 392 xpf en France; soit 6 à 10 fois plus.
Les revenus (Bénéfices non commerciaux ou BNC) des médecins libéraux en Polynésie française ne sont pas connus. Mais grâce à l’indexation des salaires des expatriés (coût de la vie en Polynésie française 39% plus cher que la Métropole en 2016), on peut conclure qu’ils devraient gagner plus que leurs confrères en France dont ci-dessous les chiffres.

Bénéfices non commerciaux (BNC) 2019 des médecins libéraux
Toujours dans egora.pf du 03-03-2022 dans un article de Louise Claereboudt intitulé : « Les revenus des médecins libéraux progressent… surtout chez les spécialistes : on pouvait lire « Une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), publiée ce jeudi 3 mars, montre que les revenus des médecins libéraux n’ont cessé d’augmenter depuis 2005, atteignant en moyenne 120.000 euros en 2017. Selon des données provisoires de la Carmf, ces revenus ont continué leur progression jusqu’en 2019. Mais l’épidémie de Covid-19 risque bien de changer la donne, la Carmf ayant dévoilé mi-février l’importante chute du bénéfice non commercial (BNC) déclaré par les médecins libéraux pour l’année 2020. »
Comparés aux médecins des Etats-Unis (voir infra), nos médecins français sont d’un rapport coût/qualité très compétitif.
Concernant le revenu moyen d’un médecin américain, Medscape a réalisé un sondage auprès de 20 000 médecins américains « Are Doctors Rich? JULY 13, 2021« . Cette étude a conclu : « About half of physicians surveyed have a net worth [ou Patrimoine] under $1 million. However, half are over $1 million (with 10% over $5 million)« .

A titre indicatif, 1 million de dollars US = 101 millions xpf au taux du 13/09/2021. Maintenant, peut-on conclure en général que les médecins ont augmenté la tension des « inégalités sociales » en s’enrichissant sur le dos de l’intérêt général du système de santé ? À ceux qui cèderaient au chant des sirènes qu’il faut « prendre dans la poche des riches pour donner aux pauvres« , je les invite à lire mon autre article sur la pauvreté et son financement. Ne nous emballons pas pour cette solution simpliste de vouloir « pourchasser fiscalement » les médecins et laissons cette question qui fâche pour un autre débat public, tout aussi intéressant.
L’Allemagne certes avec un coût 2018 par tête d’habitant ($5 986) plus élevé qu’en France ($4 965, voir le schéma Statista infra), arrive à mieux maîtriser la tendance macroéconomique de ses dépenses de santé, grâce à une cogestion avec une « médecine de caisse » souvent brandie comme un épouvantail par la Confédération des Syndicats Médicaux Français (CSMF). En effet, on constate que l’Allemagne à pu garder un même niveau de dépenses de santé en 2018 (11,2% du PIB, voir le schéma dans l’introduction) pour une population plus élevée de 16 millions grâce à son PIB qui est 1,47 fois plus que celui de la France.
Chiffres FMI | PIB en milliards US$ ANNEE 2018 | Population (en millions) ANNEE 2018 | d’où PIB par habitant US$ ANNEE 2018 |
France | 2 962,80 | 66,97 | 44 241 |
Allemagne | 4 356,35 | 82,79 | 52 619 |
Ratio : Allemagne / France | 1,47 | 1,24 | 1,19 |
Source : Wikipedia accédé le 10/09/2021 : Liste des pays par PIB (PPA) |
La Suède qui fût primée par l’OCDE pour avoir le meilleur système de santé au monde, a aussi une médecine libérale quasi inexistante : 90% des médecins sont salariés des Conseils Généraux (secteur public); voir Anni Jolivet, Suède : « Des tensions en dépit de réformes déjà mises en place », Chronique International de l’IRES n°91, novembre 2004.
Les médecins libéraux en France (comme ici d’ailleurs : voir l’article Tahiti-infos du 05/10/2011 « La prochaine fois qu’Oscar sera malade, ira-t-il se faire soigner à Cuba ?« ), ont réussi le tour de force pour être incontournables à notre système de santé; ce qui n’est pas plus mal en termes de productivité, puisqu’un acteur privé sera toujours plus performant que son équivalent public. Depuis le 19ième siècle, cette médecine libérale s’est forgée dans ses rapports de force, souvent violents avec les caisses d’assurance maladie ; expliquant l’influence du syndicalisme médical, aujourd’hui redoutée par l’Etat. Cette problématique est bien décrite par Patrick Hassenteufel dans son livre LES MEDECINS FACE A L’ETAT.

Les diverses professions libérales médicales ont un objectif qui converge vers la défense commune de leurs intérêts. Ci-dessous, selon le rapport annuel 2020 de la CPS page 30, la répartition dans la médecine libérale des 682 professionnels qui étaient conventionnés à la CPS en 2020 :
- 200 médecins
- 143 infirmiers
- 102 kinésithérapeutes
- 78 dentistes
- 66 orthophonistes
- 45 pharmacies
- 42 sages-femmes ou maïeuticiens
- 6 pédicures-podologues
Quelle que soit l’évolution choisie pour notre système de santé, la médecine libérale est devenue le pivot à long terme. Sa complémentarité au secteur public assure maintenant la cohésion du système de santé tant en France qu’en Polynésie ; d’où la difficulté d’entamer des réformes contraires à ses intérêts.
Par exemple, la mesure 2.1.5. page 26/80 du Schéma d’Organisation Sanitaire (SOS) 2016-2021 prévoyait la mise en place des dispositifs d’attraction de médecins étrangers (titulaires d’un titre de médecin hors UE) avec la nécessité de respecter des critères : diplômes authentifiés, maîtrise du français et attestation de moralité de leur Ordre. Pour palier le manque chronique de médecins dans les îles, Oscar Temaru avait maintes fois proposé en vain l’installation de médecins cubains aux compétences reconnues par l’OMS. Pourtant, selon RFI du 31/03/2020 : « L’Etat a finalement accepté par décret l’envoi de médecins cubains [forcément avec diplôme reconnu] dans ses départements d’outre-mer. Un renfort bienvenu pour les médecins antillais pour lutter contre le nouveau coronavirus, mais surtout pour combler les « déserts médicaux » français« .
Il faudrait donc essayer de comprendre pourquoi peu (voire aucun) de médecins étrangers ont été attirés par la mesure 2.1.5 page 26/80 du SOS 2016-2021. Est-ce une mesure politique illusoire? Or, il est urgent de pallier les « déserts médicaux » et d’améliorer la couverture de « santé primaire », à l’instar du fameux modèle cubain qui a posé les bases de la déclaration historique de l’Organisation Mondiale de la Santé en 1978 à Alma-Ata.

Le Pays pourrait certainement envisager de conclure un partenariat pour bénéficier des compétences en « santé primaire » de ces médecins cubains. Mais une telle décision politique, qui risque de compromettre à terme la prédominance médicale et économique de nos « Taote » ici, serait certainement décriée par le lobby de nos médecins libéraux.
La médecine libérale : un intérêt commun avec le payeur?
La médecine libérale a-t-elle réellement le même intérêt qu’une caisse d’assurance maladie? Les fondements mêmes de « l’identité libérale » sont incompatibles à toutes formes de contraintes budgétaires imposées conventionnellement ; c’est justement le point d’achoppement principal que certains économistes, d’ailleurs, minimisent en opposant deux modèles :
- Une médecine classique qui met en avant une éthique médicale avec un intérêt jusqu’au-boutiste du patient, sans tenir compte de l’intérêt économique de la collectivité.
- Une médecine moderne voulue par l’Etat où l’éthique médicale autorise de mettre en œuvre seulement les moyens qui ont prouvé leur efficacité thérapeutique car l’intérêt économique de la collectivité doit être respecté ; c’est la nouvelle tendance « l’axe téléologique » dominant les pays nordiques et qui tend à se répandre aux Etats-Unis et en Europe.
Cette incompatibilité patente resurgit très souvent dans les relations entre les producteurs de soins (les médecins en particuliers) et notre caisse d’assurance maladie (la CPS) :
- La médecine libérale a pour centre de préoccupation, la santé du patient.
- Parallèlement, la préservation de l’autonomie médicale et financière de la profession libérale primera toujours sur la contrainte de l’équilibre budgétaire du système de santé ; quoi de plus normal pour tout acteur libéral.
La mise en place d’une politique de contrôle des dépenses pour les soins ambulatoires ne peut donc plus se faire sans la coopération de la médecine libérale, devenue un acteur incontournable dans le système de santé tant en France qu’ici. Les promoteurs du Plan Juppé de 1995 et de ceux qui ont suivi, l’ont compris à leurs dépens!
Aux Etats-Unis, la médecine libérale a un poids plus prépondérant. En effet, les pouvoirs publics n’ont jamais pu avoir un rôle plus fort dans le système de santé. Le plus puissant syndicat de la médecine libérale, The American Medical Association (AMA), s’est toujours fermement opposé à l’étatisation du système de santé (Anne-Laurence LE FAOU, Les systèmes de santé en question, Paris, «Ellipses» 2003).

Très contesté parmi les médecins, l’AMA a vu une baisse continue de ses adhésions nationales pour ne représenter que 12% à 16% des médecins américains en 2019. Rappelons qu‘il s’était vivement opposé :
- aux « hôpitaux coopératifs » qui proposaient des soins plus accessibles aux plus pauvres dans les années 1930;
- au financement public des systèmes de santé « par crainte d’un mainmise de l’État sur la coordination des financements médicaux qui pourrait nuire à la relation entre le médecin et son patient« . Heureusement qu’en 1965, le président démocrate Lyndon Johnson a réussi à promulguer les lois pour les couvertures suivantes :
- MEDICARE (pour les personnes de +65 ans) dont 30% des dépenses en 2009 correspondaient à des prescriptions excessives et inutiles de soins : “Nearly thirty per cent of Medicare’s costs could be saved without negatively affecting health outcomes if spending in high- and medium-cost areas could be reduced to the level in low-cost areas”.
- MEDICAID pour les plus démunis, qui sont des plans nationaux se rapprochant de la Couverture Maladie Universelle (CMU) en France.

- aux Health Management Organisation (HMO) l’équivalent d’un organisme d’assurance maladie privée qui travaille en partenariat avec un réseau de médecins libéraux pour fournir des soins à bas prix. Heureusement que la Cour suprême des États-Unis, dans le procès American Medical Ass’n. v. United States, a condamné l’AMA pour violation de la loi Sherman antitrust.
Donc on retrouve ce même combat de la médecine libérale contre la puissance publique qui cherche pourtant à contenir les dépenses de santé. A titre d’information, aux Etats-Unis dans les relations entre les médecins libéraux et les assureurs privés du type Health Management Organisation (HMO), ces derniers ayant une logique de rentabilité financière, sont obligés d’être efficaces pour survivre. Moyennant une cotisation annuelle fixe ou un prépaiement forfaitaire par ses cotisants, l’HMO (groupe d’assurance médicale) fournit et organise la gestion des soins de santé, en assurant la liaison avec les prestataires de soins de santé tels, les hôpitaux, les pharmacies et les médecins.
Durant les années 1970 aux Etats-Unis et entre 2003-2005 en France, les pouvoirs publics ont voulu maîtriser les déficits budgétaires de santé en bloquant les tarifs d’honoraires des médecins. Résultat : les dépenses de santé dans les deux pays, ont continué à augmenter vertigineusement, mais cette fois par la multiplication des actes. C’est la même stratégie qui fait recette pour contrer toute politique d’austérité budgétaire.
A cet égard, en Polynésie dans l’accord CPS-Médecins libéraux du 31/08/2021 constatons avec subtilité la « partition jouée » par chaque acteur en présence (CPS, Syndicat des médecins libéraux et Conseil de l’Ordre des Médecins) dans le rapport de force suivant :
- Au départ, avant 2012 une convention collective était signée entre la CPS et le syndicat des médecins libéraux. Donc face à la puissance représentative de ce syndicat, les médecins libéraux en théorie ne devaient plus traiter individuellement avec la CPS.
- Or, depuis 2012 la CPS a continué à signer des conventions individualisées avec des médecins libéraux sans passer par le syndicat. Ce lien bilatéral qui “tue la représentation syndicale et met le médecin seul face à l’institution”, permet au praticien conventionné de délivrer des actes médicaux reconnus et remboursés par la CPS.
- Entre temps, la CPS et le syndicat des médecins libéraux ont poursuivi depuis début 2020 leurs négociations pour la signature d’un nouveau projet de convention collective.
- Malheureusement, la crise de la Covid-19 est venue « bousculer » les rapports de force dans ces négociations en faveur du syndicat des médecins libéraux. En effet, la CPS s’était vue confrontée à une hausse brutale des arrêts maladies (grâce au redoutable pouvoir du stylo du médecin qui seul peut prescrire les ordonnances médicales) et donc à une forte augmentation des dépenses de santé.
- Le médecin chef du contrôle médical de la CPS fit un rappel à l’ordre adressé aux médecins libéraux par une missive salée assortie d’une promesse d’intensification des contrôles et de la menace de sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’au déconventionnement des praticiens trop complaisants.
- Le syndicat des médecins libéraux, ouvertement soutenu par le Conseil de l’ordre des médecins, s’est indigné en dénonçant, le “ton comminatoire” de ce courrier et “l’emploi de généralités” jetant le discrédit sur l’ensemble de la profession.
- Selon le président du Conseil de l’ordre des médecins, la lettre de cadrage adressé par le médecin chef du contrôle médical de la CPS n’aurait jamais existé si les relations avec la profession avait été régies par une convention collective, comme c’était le cas avant 2012.
- La CPS et le syndicat des médecins libéraux se sont donc concertés « hâtivement » pour “étouffer un incendie qui aurait pu s’étendre sans réel fondement”.
- D’où une convention collective entre la CPS et le syndicat des médecins pourrait maintenant être conclue avant la fin de l’année 2021, pour s’entendre « indirectement » sur une augmentation des dépenses de santé par :
- une « évolution » (pour ne pas dire une hausse) de la tarification des consultations, inchangée depuis 10 ans;
- une modification de la nomenclature des actes impliquant une « évolution » de la tarification.
- Conclusion, ni la CPS ni les médecins libéraux sont à mettre en cause pour ce résultat final de la hausse des dépenses de santé. Et voilà, la boucle est bouclée sur le dos » des cotisants de la CPS !
Soyons réalistes : une politique de baisse des coûts de santé implique forcément une baisse de revenu pour la profession médicale. Un médecin qui jouit de l’asymétrie d’information aura toujours tendance à prescrire plus, pour satisfaire son patient et éviter qu’il aille consulter ailleurs (voir Bruno Palier, La réforme des systèmes de santé, Paris, PUF, « Que sais-Je ? » Mars, 2005). Le code de déontologie l’oblige à se focaliser sur la santé de son patient et non sur les dépenses de santé. D’ailleurs, le serment d’Hippocrate dispose : « Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux« .
Par exemple en France, 90% des consultations chez un médecin de ville engendraient une prescription médicamenteuse contre 43,2% aux Pays-Bas (voir Jacques Marseille, Les bons chiffres pour ne pas voter nul en 2007, Perrin, 2007). Les trois médicaments les plus consommés en France, étaient par ordre décroissant, les anti-cholestérols, les antidépresseurs et les antibiotiques. Une sérieuse controverse porte d’ailleurs sur la surconsommation d’antidépresseurs ; la France serait-elle devenue schizophrène selon le plus grand spécialiste de la question, le professeur Edouard Zarifian (voir son livre « Le prix du bien-être » Psychotropes et sociétés, Paris, Odile Jacob, 1996).

La « médecine de ville » devenue incontournable dans notre système de santé, répond en priorité à la demande croissante des patients. Les médecins libéraux peuvent difficilement contribuer à faire baisser nos dépenses de santé, comme le presse la C.P.S.
Par ailleurs, notons qu’en France, les dépenses de santé montraient une forte concentration de consommateurs de soins pour l’année 2000 (Rapport Coulomb 2003, Jean-Claude Barbier et Bruno Théret, Le nouveau système français de protection sociale, Repères, Edition la Découverte 2004, p.68) :
- 10% des assurés du régime général (en majorité des personnes âgées), étaient responsables de 64% des dépenses de santé ;
- de manière plus affiné, 5% étaient responsables de 51% des dépenses de santé.
Ici, selon le directeur de la CPS Vincent Fabre, un carnet rouge coûterait 11 fois plus qu’un ressortissant « classique » (voir Dépêche de Tahiti du 23/08/2021). Ce chiffre de 11 fois plus est confirmé selon le calcul ci-dessous :

En dernier, notre système de santé qui assure déjà la solvabilité des assurés sociaux vis-à-vis des producteurs de soins, supporte aussi indirectement les coûts de cession de patientèle entre acteurs médicaux. Le conventionnement avec la C.P.S. n’interdit pas aux professions libérales (médecins, pharmaciens, radiologues, infirmiers, Kinésithérapeute, …) de monnayer la cession de leur affaire. La valeur vénale toujours plus élevée de ces cessions successives, se répercute indirectement sur notre système de santé. Chaque acheteur successif est donc acculé à augmenter son revenu (chiffre d’affaires) pour pouvoir amortir son nouvel investissement. Ce qui nous éloigne davantage de l’objectif initial de contenir nos dépenses de santé.
Par exemple, on constate maintenant des officines de pharmacie qui se vendent exclusivement entre pharmaciens à plus de 1/2 milliard Xpf! En droit civil, on parle ainsi d’une « présentation de la patientèle au successeur » au lieu d’une cession d’un fonds de commerce. Pourtant, l’Article 19 (article R.4127-19 du code de la santé publique) du code de déontologie et ses commentaires, affirme bien : « la médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce ». Certes, c’est le discours officiel, mais dans la pratique, on devine une situation qui laisse présager un rapport de force très dur entre les producteurs de soins et le payeur du système de santé.
Vouloir donc imposer des contraintes comptables et budgétaires de la CPS restera toujours une mission conflictuelle.
4/ LE DEFI DU CONTROLE DES DEPENSES DE SANTE
En France, depuis la Réforme Juppé de 1995, le Parlement fixe chaque année, l’Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie (ONDAM). Malheureusement, cette intrusion de l’Etat dans la Sécurité Sociale ne garantit pas le respect des objectifs budgétaires.
L’esprit libéral du système américain a malheureusement accouché d’un modèle le plus coûteux au monde pour les patients. C’est le pays qui a encore dépensé le plus, en 2018 ; voir ci-dessous les dépenses de santé par tête d’habitant : le double de la France !

Cette grande démocratie a pourtant surpris le monde en instaurant avec succès le fameux NEW DEAL au lendemain de la crise économique de 1929. Ce plan d’Etat-providence fût la première politique interventionniste dans ce pays.
Sept causes expliqueraient les dépenses de santé élevées aux Etats-Unis, selon le Bipartisan Policy Center, un think tank de Washington, D.C (septembre 2012) :
- « We pay our doctors, hospitals and other medical providers in ways that reward doing more, rather than being efficient for quantity, not quality » : Les producteurs de soins sont payés à l’acte et non sur la qualité du service rendu. Donc moins le système de santé est centralisé sous la forme d’une couverture universelle, plus il est difficile de contenir un système disparate de paiement à l’acte, à guichet ouvert, entre différentes structures de protection sociale. Par ailleurs, pour protéger le monopole des médecins, certains états n’autorisent pas les infirmiers à effectuer certains actes médicaux pour lesquels pourtant ils ont été formés.
- « We’re growing older, sicker and fatter » : 85% des dépenses de santé proviennent des 50% de la population américaine atteinte d’une maladie chronique telle l’obésité, le diabète, les affections respiratoires, les maladies cardiovasculaires et rénales. Ce risque sanitaire augmente donc les primes d’assurance de couverture maladie : « Data from the Kaiser Family Foundation (KFF) shows between 2015 and 2020 the average annual premiums for family coverage rose from $15,545 to $21,342—that’s a whopping 37%.«
- « We want new drugs, technologies, services and procedures » : On est tous fascinés par l’avancée de la technologie médicale qui malheureusement coûte toujours plus chère. Donc autant les producteurs de soins que les patients ont tendance à recourir excessivement à ces nouvelles technologies très coûteuses. « According to a study by the Journal of the American Medical Association, (JAMA) Americans tend to associate more advanced technology and newer procedures with better care, even if there’s little to no evidence to prove that they’re more effective.«
- « We get tax breaks on buying health insurance — and the cost to patients of seeking care is often low » : 49% d’assurés n’optent par forcément pour une couverture d’assurance maladie moins chère. Le choix est imposé par leur employeur qui lui est souvent motivé par une optimisation fiscale.
- « We don’t have enough information to make decisions on which medical care is best for us » : Le système de santé américain est si complexe et disparate qu’il est impossible de comparer clairement les avantages et les inconvénients entre les producteurs de soins et les assurances. Kaiser Health News (KHN) reports that even when evidence shows a treatment isn’t effective or is potentially harmful, it takes too long for that information to become readily known, accepted, and actually change how doctors practice or what patients demand.
- « Our hospitals and other providers are increasingly gaining market share and are better able to demand higher prices » : Les producteurs de soins qui gagnent une plus grande part de marché, sont en meilleur position pour exiger une hausse des prix! « While mergers or partnerships among medical providers or insurers may improve efficiency and help drive down prices, consolidation can also have the opposite effect, allowing near-monopolies in some markets and driving up prices, the report says. Increasingly, hospitals are buying up rivals and directly employing physicians, creating larger medical systems. »
- « We have supply and demand problems, and legal issues that complicate efforts to slow spending » : Le risque d’erreur médicale ou « Malpractice » tend à pousser les producteurs de soins à multiplier les actes pour ce prévenir d’un potentiel procès. « Malpractice premiums and jury awards are part of what drives spending. A larger problem, although hard to quantify, is “defensive medicine” — when doctors prescribe unnecessary tests or treatment out of fear of facing a lawsuit, the report says. Fraudulent billing or unnecessary tests by medical providers seeking to “game the system” are another concern.«
Cependant, plusieurs éminents spécialistes américains commencent à se rendre compte de la mauvaise posture de leur pays :
- En 2019 : 30 millions d’Américains (voir schéma ci-dessous « Uninsured« ) n’ont aucune protection d’assurance maladie. C’est devenu une absurdité sociale et économique pour le pays le plus riche au monde.
- Les acteurs du système libéral (médecins, industrie pharmaceutique, etc…) sont les plus grands bénéficiaires financiers du système de santé qui est devenu un énorme marché juteux.
- Le constant refus d’un système national de santé à couverture universelle, est devenu un non-sens, puisque les Etats-Unis est le pays qui paye déjà le plus pour sa santé (voir le schéma ci-dessus).

Le débat politique sur la couverture universelle (Single-payer system) aux Etats-Unis, notamment l’OBAMACARE reste encore très controversé. Cinq aspects de l’OBAMACARE (Le Patient Protection and Affordable Care Act (ACA) voté le 23/03/2010) attisent le débat public, selon la Kaiser Health News :
- Individual mandate : La pénalité pour ceux qui refusent de se conformer à l’OBAMACARE, est la plus critiquée : « The requirement that most Americans have health insurance or pay a tax penalty is by far the most unpopular provision of the law, particularly among Republicans.«
- Ideology : Par idéologie politique la majorité des Républicains et des Libertariens s’oppose à l’intervention du gouvernement fédéral dans le système de santé américain et préfère laisser la concurrence s’opérer entre assurances privées pour la couverture maladie.
- Lack of knowledge : Vu la complexité du système de santé, beaucoup ne comprennent pas les rouages de l’OBAMACARE.
- Confusing the health law with the rest of the health system : L’OBAMACARE a été pointé du doigt pour la hausse de prix de certaines couvertures complémentaires et des médicaments (malgré l’option pour certains médicaments génériques), alors que la relation de cause à effet n’a pas été réellement démontrée; voir le schéma ci-dessus dans l’introduction du Dr Robert Lustig montrant la hausse vertigineuse des dépenses de santé.
- Some people are worse off : Les assurés en bonne santé ont vu leurs cotisations augmenter pour compenser la couverture de ceux qui sont en moins bonne santé. C’est ce qui devait arriver pour un système de couverture universelle!
Plusieurs prestigieuses institutions médicales des Etats-Unis sollicitent une étatisation plus forte du système de santé américain pour se rapprocher d’un modèle beveridgien (voir Drs Gordon Schiff and Quentin Young, Institute of Medecine of the National Academy of Sciences, 2001). Mais le Président OBAMA (profondément influencé par le Dr Atul Gawande, voir supra) a dénoncé dans son discours du 05/03/2009 le coût exorbitant des dépenses de santé qui reste un obstacle rédhibitoire pour leur financement :“The greatest threat to America’s fiscal health is not Social Security. It’s not the investments that we’ve made to rescue our economy during this crisis. By a wide margin, the biggest threat to our nation’s balance sheet is the skyrocketing cost of health care. It’s not even close.”
Malheureusement, tous les pays dotés d’un système de couverture universelle seront confrontés à « l’effet de ciseau » permanent, si on constate une augmentation inexorable :
- du coût d’utilisation des biens et des services de santé ; les prix unitaires des médicaments américains sont nettement plus élevés, d’où l’initiative en juillet 2020 de Trump d’imposer une baisse. En réalité, ces « prix publics » sont librement fixés par les industriels, mais sont jalousement gardés au secret et varient selon les parties en présence et les quantités négociées (voir Philippe Pignarre, Comment sauver (vraiment) la Sécu, La Découverte, Paris, 2004).
- du nombre de retraités par rapport à la population active : exemple le fameux ratio retraités-actifs de la CPS
- En 2020 on avait 1 retraité pour moins de 2 cotisants; soit >50% voir le Rapport annuel 2020 du Conseil d’orientation et de Suivi des Retraites (COSR) relatif au système de retraite polynésien (section 1.7 page 12/133) :
- de la population âgée, grande consommatrice des biens et des services de santé. L’effet de ciseaux dû au vieillissement démographique se traduisant par une hausse du rythme de dépenses de la branche retraite supérieure au rythme d’augmentation des recettes. Les recettes peuvent même voir leur montant diminuer si le chômage augmente.



La pyramide des âges des Etats-Unis (à gauche) ayant un tronc plus étroit que celui de la Polynésie (à droite), implique que les américains devront subvenir aux besoins d’un plus GRAND NOMBRE relatif de personnes +65 ans (situé vers le haut de la pyramide) proportionnellement à la population active (situé vers le bas de la pyramide). Les +65 ans (qui sont pris en charge automatiquement par MEDICARE) représentant déjà 16% de la population en 2018 devraient atteindre 20% en 2028. Selon Statista, (voir le schéma ci-dessous) le nombre d’actif américain pour 1 retraité baissera de 3,3 en 2020 à 2,5 en 2050; risquant d’exacerber la faillite du système de santé américain.

Par rapport à la pyramide des âges des Etats-Unis, la nôtre montre que les cotisants de la CPS devront subvenir aux besoins d’un plus PETIT NOMBRE relatif de personnes +65 ans (situé vers le haut de la pyramide) proportionnellement à la population active (situé vers le bas de la pyramide). Malheureusement, les cotisations sociales à la CPS (à septembre 2021, elles pesaient déjà pour environ 45% du salaire brut : 13% de part salariale et 32% de part patronale) qui ne cessent d’augmenter, n’arrivent pas à rattraper l’augmentation inexorable de nos dépenses de santé qui en 2015 affichaient déjà 80 milliards Xpf pour peser 14,4% de notre PIB.
Le déséquilibre économique permanent
Dans une relation économique normale, le patient consulte son médecin et paye directement la totalité de ses honoraires : ici, et le consommateur et le payeur sont la même personne. C’est une relation parfaitement classique entre un acheteur et un vendeur. On constate donc que l’offre et la demande s’équilibrent sur le facteur du prix. Le producteur augmente son offre jusqu’à ce que son prix de vente ne soit plus incitatif. Inversement, le consommateur achète jusqu’à ce que le prix d’achat s’élève à un niveau moins incitatif. La rencontre de ces deux courbes (ci-dessous l’offre en bleu & la demande en rouge) correspond au point initial d’équilibre (Q1,P1). Si la demande augmente, Q1 passant à Q2, le prix augmente automatique de P1 à P2; ci-dessous le diagramme typique d’une économie libérale ouverte.
Or, peu de personnes prennent conscience que le « marché de la santé » a cette particularité d’être régulé :
- par le coût pour la collectivité, grâce à la socialisation des risques où tous les cotisants de la CPS et la collectivité payent pour la prise en charge des dépenses de santé de « tout » le monde;
- et non par le prix payé par le patient. De plus, les données empiriques ont démontré qu’un meilleur niveau de vie des patients, a l’effet pervers de « doper » la demande de soins. Donc plus un patient a les moyens financiers, plus il a tendance à consommer des soins! Ce qui cause problème puisque c’est la collectivité qui paye à sa place ces soins supplémentaires.
Malheureusement, depuis que le Chancelier allemand Otto, prince von Bismarck (le précurseur de la Première Guerre mondiale) a inventé en 1871 le premier système national de protection sociale (modèle d’assurance maladie), repris plus ou moins par les pays développés, l’entrée d’un nouvel acteur et non des moindres (la puissance publique et/ou une caisse de prévoyance sociale) a « profondément biaisé » la relation entre le demandeur de soins (le patient) et l’offreur de soins (le médecin).
Du côté de la demande de soins, le consommateur n’est plus vraiment le payeur direct. Par le système de « socialisation des risques », où « la demande des soins a été monopolisé par une caisse », il devient maintenant un assuré social. Lors d’une consultation médicale, il se trouve privilégié dans ses modalités de paiement, selon ses droits dans le système de santé en question :
- il ne paie exceptionnellement rien, s’il fait partie des catégories les plus assistées du système (cas de la longue maladie en Polynésie – Carnet rouge) ;
- il ne paie souvent qu’une quote-part, selon le ticket modérateur applicable ;
- il paie rarement la totalité, excepté si le traitement est exclu du panier de soins couvert par la protection sociale.
Du côté de l’offre de soins, où la profession médicale a obtenu de l’Etat, le monopole des soins, le médecin se retrouve dans une situation financière exceptionnellement sécurisée : le système de mutualisation des risques offre maintenant une garantie de la solvabilité de toute sa patientèle (pour ne pas dire clientèle). Ce qui est un modèle unique en économie de marché. Imaginez un commerçant qui vendrait tout à crédit puisque tout sera payé par la puissance publique ! Cependant, cette intrusion des pouvoirs publics est aussi vue comme une menace à l’autonomie de la profession libérale ; ce qui explique cette méfiance permanente du pouvoir médical à l’égard d’une caisse ; voir Patrick Hassenteufel, Les médecins face à l’Etat, Presses de Sciences Po, 1997.
En conséquence, ce nouvel acteur, plus spécifiquement une caisse de protection sociale (CPS), a conforté la position financière des deux parties (patient et médecin), et par une ironie du sort, a produit un « déséquilibre permanent » dans le mécanisme économique :
- Du côté du patient qui voit ses dépenses de santé prises en charge par la CPS :
- il voudra continuer à choisir librement son médecin à tout moment : c’est le phénomène du nomadisme médical;
- il voudra continuer à consulter autant de médecins qu’il le souhaite.
- Du côté du médecin :
- cas du secteur public : le praticien hospitalier (HP) qui, pour des raisons budgétaires, verra son revenu plafonné et son outil de travail (l’hôpital) très souvent sous-équipé et en sous-effectifs, demandera plus de moyens financiers pour ne pas dire une augmentation de revenu!
- cas du secteur privé : le médecin libéral qui verra les encaissements de son chiffre d’affaires sécurisés par la CPS :
- continuera à « prendre soin » de son patient : secret médical oblige, d’où paraît parfois flagrant, l’abus des arrêts de travail;
- tendra à demander une meilleure garantie financière sous forme de conventionnement pour une meilleure gestion de sa patientèle : profession libérale oblige; elle a une patientèle à revendre.
Ci-dessous un diagramme qui essaye de résumer cette dynamique :
- si le prix des soins est gratuit (axe vertical Price of healthcare) puisque la collectivité paye à la place du patient;
- et si la quantité de l’offre en capacité (de nombre de lits, de médecins, d’équipements, ect …) RESTE FIGEE par la puissance publique (droite verticale S);
- alors tous les patients profiteront de consommer des soins sans compter et la demande de soins (droite inclinée rouge) initialement fixée au point Q sur l’axe horizontal, tendra à droite vers l’infini.
- D’où la nécessité donc de concentrer les efforts de rationalisation sur l’offre de soins (S). Mais comment? Tout simplement comme au Royaume-Uni en provoquant une ATTENTE PROLONGEE DES PATIENTS pour être soigné puisque la quantité de l’offre de soins en capacité (de nombre de lits, de médecins, d’équipements, ect …) RESTE FIGEE par la puissance publique! C’est l’abcisse Q sur l’axe horizontal du schéma ci-dessous. Et si on est gravement malade, alors tant pis, car on devra attendre son tour comme tout le monde en espérant de ne pas mourir entre temps! Mais si on décide de ne plus offrir la gratuité des soins, alors la hausse automatique du prix va exacerber l’inégalité d’accès aux soins au préjudice des plus démunis (revoir courbe ci-dessus).

Le paradoxe de l’offre et de la demande de soins
Aux Etats-Unis, l’Etat a laissé réguler son marché de la santé par une libéralisation de l’offre de soins (les médecins) et de la demande de soins (les assureurs privés). Le grand bénéficiaire a été en général le secteur lucratif comprenant :
- Les médecins libéraux qui ont prospéré avec des revenus très confortables : le pays en attirant les médecins étrangers les plus renommés, est devenu la « terre promise » des médecins dont beaucoup sont devenus des multimillionnaires. Les 87% d’établissements privés hospitaliers à but non lucratif aux Etats-Unis (voir le tableau ci-dessous), n’ont pas empêché cette inflation des coûts. Donc ce n’est pas parce qu’on est à but non-lucratif que les coûts vont baisser : loin s’en faut! Ce constat converge d’ailleurs vers l’argument de mon article du 06/10/2017 : « Dialyse : d’où viennent les 600 millions de Fcfp de réserves de l’APURAD ? » L’APURAD s’enfonce dans l’argutie lorsqu’elle loue à tout-va son but non lucratif. En effet, que l’on soit « à but lucratif’‘ ou « à but non lucratif‘, cela ne coûte pas plus cher aux cotisants de la CPS. Les tarifs-CPS pour les différents types de traitement de dialyse (voir l’arrêté n°207 l CM du 24/12/2014 qui a pu être modifié depuis) s’appliquent unilatéralement à tous les producteurs de soins, quelle que soit leur forme sociale.
- Les assureurs privés transformés en H.M.O. intégrant un réseau de soins.
- L’industrie pharmaceutique : Big Pharma
- Les fabricants de matériel médical.
Ci-dessous la répartition des types d’hôpitaux aux Etats-Unis en 1999 :
Class of Hospital in 1999 | Type d’hôpitaux en 1999 | Nombre d’établissements | % | Nombre de lits | % |
Federal | Fédéral | 264 | 4,59% | 55 000 | 5,63% |
Nonfederal psychiatric | Non-fédéral Pshychiatrie | 529 | 9,20% | 92 000 | 9,42% |
Not-for-profit Community | Hopitaux à but non lucratif | 3 012 | 52,39% | 587 000 | 60,08% |
State and Local Community | Hôpitaux locaux d’un Etat | 1 197 | 20,82% | 136 000 | 13,92% |
Sub-total non-profit | Sous-total à but non lucratif (public, privé) | 5 002 | 87,01% | 870 000 | 89,05% |
For-profit Community | Hopitaux à but lucratif | 747 | 12,99% | 107 000 | 10,95% |
TOTAL GENERAL | 5 749 | 100,00% | 977 000 | 100,00% | |
Source : Health Forum, Hospital statistics, 2001,Table 2 |
D’ailleurs, très vite les assureurs se sont aperçus que le surplus d’offre induisait plus de demande de la part des assurés : c’est le PARADOXE en économie de la santé. Les prix sont donc restés élevés et les actes ont été multipliés par les médecins. Les assureurs privés qui ont dû supporter plus de dépenses de santé, ont à juste titre commencé à participer activement dans l’organisation de l’offre de soins, en mettant en place :
- des filières et réseaux intégrés de soins : les fameux Health Maintenance Organisation (HMO) développés par le Dr Paul ELLWOOD, dans lequel l’assureur est également l’offreur de soins ; pour une prime fixe ou variable des assurés, la HMO s’arrange à fournir les services de soins ;
- un système de contrôle pour imposer certaines pratiques médicales : normes et protocoles de soins à respecter si les médecins veulent que leurs patients restent assurés.
Les données empiriques en France, ont démontré aussi qu’une surdensité médicale (nombre de médecins pour 1000 habitants) couplée d’une relative concurrence entre praticiens, avait tendance à stimuler artificiellement la consommation de soins. Les chiffres de l’OCDE/IRDES, 2004, démontrent que le système de santé français, plus coûteux, n’affiche pas les meilleurs résultats sanitaires de la population. De surcroît, les inégalités sociales de santé en France sont les plus criardes, hormis les tristes records américains (INSERM, 2000).
D’où la majeure partie des pays européens, depuis longtemps, ont refusé de laisser le libre marché réguler leur système de santé.
Le Paiement à l’acte conforté par le système de financement
L’OCDE qui organise des comparaisons internationales de systèmes de santé depuis 1990, a démontré que le paiement à l’acte coûte en général 11% plus cher que les autres modes de rémunération (voir Bruno Palier, La réforme des systèmes de santé, Paris, PUF, « Que sais-Je ? » Mars, 2005, p. 73. et L’Horty et al. 1997 page 260).
Or, c’est la forme de paiement la plus ancienne. Certains auteurs anglo-saxons relatent qu’elle (fee-for-service) a été une source de vives controverses. A priori, le paiement à l’acte ne choque point. En contre partie d’un service spécifique rendu, le patient paie son médecin ; quoi de plus classique entre deux acteurs économiques. Toutefois, comme mentionné ci-dessus, cette relation classique acheteur/vendeur a été biaisée à plusieurs niveaux :
- La socialisation des risques et donc la solvabilité de la clientèle (patientèle) : rien ne retient maintenant le médecin et le patient de profiter des largesses du système de santé.
- L’asymétrie dans l’information : le médecin, producteur de soins, enclenche aussi la demande de soins par ses prescriptions ; cette prérogative connaît maintenant certaines limites face aux Références Médicales Opposables (R.M.O.).
- La monopolisation de l’offre et du paiement des soins : les pouvoirs publics ont donc accordé :
- aux médecins le monopole de l’offre de soins avec leur « redoutable stylo » pour la rédaction des ordonnances (expression du Dr Atul Gawande);
- à la Caisse d’assurance maladie le monopole du financement des soins.
En conséquence, si le patient a l’impression d’avoir des soins gratuits grâce à la socialisation des risques et que l’offreur de soins a le monopole de la production avec la garantie d’être payé, alors on comprend facilement pourquoi les dépenses de santé sont si difficiles à maîtriser, surtout dans un système de paiement à l’acte, à guichet ouvert.
L’avenir économique d’un système de santé mixte (Public/Privé) dépendra essentiellement de notre prise de position sur les deux questions suivantes concernant la médecine libérale rémunérée à l’acte :
- D’une part, est-elle une activité à but non lucratif ? L’interpellation peut paraître scandaleuse pour les libéraux. Auquel cas, pourquoi les libéraux n’opteraient pas « tout naturellement » pour un statut de salariat dans une structure de médecine de caisse ? Cette option rejoint pourtant le serment d’Hippocrate qui dispose que : « Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain« .
- D’autre part, est-elle compatible avec une politique de rationalisation budgétaire des soins de ville ? Par exemple, le modèle d’une médecine de caisse exclura le poste de charge nettement plus coûteux pour les assurés : les honoraires des médecins libéraux qui sont variables et payables à guichet ouvert. Jusqu’à présent, ces dépenses ambulatoires n’ont jamais pu être contenus puisque l’architecture même du système est viciée dès le départ : on ne peut tout simplement pas contrôler un budget pour des charges payées à guichet ouvert !
Vu le rapport souvent conflictuel entre la C.P.S. et la médecine libérale, les pouvoirs publics n’ont jamais vraiment affronté ce débat épineux de société : d’où notre système de santé mixte, avec ses contradictions criardes notamment dans le différentiel de revenu des médecins du public et du privé. Mais détrompez-vous, les médecins qu’ils soient du public ou du privé sont très solidaires entre confrères face à la puissance publique. D’ailleurs, le serment d’Hippocrate dispose que : »J’apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu’à leurs familles dans l’adversité … ». Donc lors des prochaines grèves de médecins, observez bien la solidarité « silencieuse » entre confrères du public et du privé. Pour reprendre la fameuse expression : « They stick together« .
Déjà en 2004, M. Jean-Pierre DAVANT, Président de la Mutualité Française représentant 38 millions d’assurés en France, décriait depuis fort longtemps cette situation (voir Actualités du 18/04/07 site web de la Mutualité française). A ce titre, les médias nous relatent souvent les écarts de ce mode de fonctionnement, qui fragilise l’égalité d’accès aux soins : le dépassement d’honoraires des médecins, entre autres (Le Point n° 1804 du 12 avril 2007).
En revanche, annuler totalement la rémunération à l’acte serait une erreur stratégique, car le secteur privé s’atrophiera. Grâce à sa capacité de réaction, la médecine libérale nous évite effectivement les longues « listes d’attente » courantes d’un hôpital public (voir l’exemple du système de santé en Angleterre). Beaucoup de ces médecins ont sacrifié près de la moitié de leur vie professionnelle en études (Bac+8 à Bac+10, sans compter la formation continue; voir « La santé n’est pas un droit : Manifeste pour une autre médecine » janvier 2007 de Guy Vallancien). Que cette profession libérale assure de très bons revenus à nos médecins, ne doit offusquer personne. Bien au contraire, c’est tout à l’honneur de chacun de ces acteurs économiques qui contribuent à la vitalité de notre économie de la santé. Ils font encore de longues journées de travail car quelque part, le libéralisme doit les inciter financièrement. Donc la contrainte « Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain » du serment d’Hippocratene ne devrait plus être un facteur bloquant!
En conséquence, ce dynamisme du secteur libéral doit être préservé. Etant un fervent libéral (voir mon opinion sur le « libre marché » dans l’introduction de mon blog), je suis malgré tout, pour une politique plus interventionniste de la CPS dans le secteur libéral. A situation exceptionnelle de « risque de santé socialisé« , mesures exceptionnelles de « politique interventionniste« . Que ceux qui payent (les cotisants souvent « tondus » comme des moutons) soient rassurés que la CPS, dans sa mission « inquisitrice » de contrôle de nos dépenses de santé, encadre bien les producteurs de soins et vérifie avant d’engager nos dépenses. Elle dispose d’un atout formidable en détenant le monopole d’encaissement de toutes les cotisations sociales; ce qui représente un levier optimal en termes d’économie d’échelle.
La France avait déjà commencé à y réfléchir avec la ministre de la santé, Mme Roselyne BACHELOT en 2008 sur une expérimentation pour remplacer le système inflationniste du paiement à l’acte par d’autres modes de rémunération alternatif (par capitation, forfait, …), couramment utilisés dans les H.M.O. américains (voir Franchises, taxes : le Gouvernement au chevet de la Sécu, toujours malade, AFP du 24 septembre 2007, 17h47). Mais depuis, l’indifférence a visiblement transparu derrière cette tentative symbolique. Tant que la médecine libérale n’y voit pas son intérêt à substituer le paiement à l’acte par une autre forme de rémunération aussi avantageuse, les réformes avanceront au pas fixé qu’elle entendra bien suivre.
D’où pour préserver la viabilité de notre système de santé, les médecins seraient tentés de dire : ce n’est pas nous les producteurs de soins qui, certes s’enrichissons, sommes le problème. C’est plutôt la mauvaise santé de la population qui est en cause. Ce qui n’est pas faux!
Les choix pour une meilleure maîtrise financière
Vu les déficits chroniques de l’assurance maladie, la plus part des systèmes de santé évolue vers une baisse continuelle du financement public au détriment de l’assuré social, qui se voit obligé de payer de plus en plus, de sa poche.
En résumé trois approches se présentent pour essayer de mieux contrôler les dépenses de santé :
- Par la régulation de la demande :
- Augmentation du ticket modérateur (ou franchise dans le cadre d’une assurance privée) pour que le patient paye plus : l’expérience française et internationale a prouvé son inefficacité dans la modération de consommation de soins.
- Augmentation du forfait hospitalier.
- Baisse du % des déremboursements.
- Mais l’augmentation de la demande de soins, à long terme, est difficilement maîtrisable pour les raisons principales suivantes :
- Le recours aux soins est une initiative personnelle de l’assuré social que l’on doit éthiquement satisfaire. Vouloir opposer des contraintes pour la contrôler serait contraire au principe de solidarité animant notre système de santé. Les données empiriques prouvent également, qu’un faible pourcentage d’assurés est responsable d’une grosse partie des consommations de soins : un titulaire de Carnet rouge ici coûterait 11 fois plus qu’un ressortissant classique.
- Le cadre de notre système universel de protection sociale, a permis à la quasi-totalité de la population d’accéder librement à la générosité de notre système de santé. Il faudra donc maintenant du côté de l’offre, faire face à cette volonté d’obtenir une meilleure santé à long terme.
- Les facteurs incontrôlables qui dopent la demande de soins : meilleur niveau de vie des assurés, progrès médical, vieillissement de la population et accroissement net démographique.
- Les plus démunis qui ont un besoin réel de soins, doivent être soignés.
- Par la redéfinition du panier de soins pris en charge par l’assurance maladie :
- La réduction de la prise en charge de la liste de services et de produits de soins. Plus de transferts des charges vers une assurance privée, défavorisent les plus démunis qui ne peuvent pas se payer une assurance mutuelle complémentaire.
- Par la régulation de l’offre :
- Le « numerus clausus » pour contrôler le nombre de médecins : les contraintes mises en place depuis 1971 en France, expliquent une pénurie chronique des médecins. A ce sujet, voir l’excellente vidéo du 23/10/2022 intitulée « Pourquoi y a-t-il une pénurie de médecins en France ? » – Le Monde, qui décrit comment la politique du « numérus clausus » a causé un autre problème inattendu : la pénurie de médecins en France au détriment direct des demandeurs-payeurs-du-système-de-soins. Depuis 2021, a été mis en place le « numerus apertus » d’un « quota minimum d’étudiants fixé par les facultés de médecine en fonction des besoins du territoire« . Quel bon sens imposé par les « forces du marché » de la santé!
- Le contrôle du prix des honoraires des médecins par la mise à jour des tarifs: cette mesure est politiquement lourde de conséquence puisqu’elle provoque souvent une réaction hostile de la profession. A ce sujet, la CPS dispose du redoutable levier de négociation suivant :
- Soit les médecins libéraux acceptent de signer avec la CPS une convention individuelle dont les tarifs sont souvent jugés trop bas par les « taote » : par exemple pour une visite chez un médecin généraliste signataire, le patient est remboursé à 70% par la CPS sur le tarif conventionné de 3 600 xpf, en vigueur en 2012.
- Soit, en cas de non-signature d’une convention individuelle ces médecins non-conventionnés à la CPS peuvent facturer librement leurs honoraires, auquel cas s’imposent alors pour le remboursement, les tarifs d’autorité définis par un arrêté du 28 juillet 1995 : par exemple toujours pour une visite chez un médecin généraliste non-conventionné à la CPS, le patient est toujours remboursé à 70% par la CPS mais sur le tarif d’autorité de 1 560 xpf en vigueur en 2012 (pour un acte C de consultation) ; ce qui est nettement moins attrayant. Pour le secteur libre (ou secteur 2), le médecin spécialiste fixe librement le prix de sa consultation mais les patients seront remboursés que sur la base d’un tarif d’autorité moins élevé.
- Le contrôle du prix des médicaments : l’industrie pharmaceutique qui tend à promouvoir les produits à fortes marges bénéficiaires ; le renforcement progressif des médicaments génériques.
- Le contrôle du nombre de lits d’hospitalisation : la restructuration hospitalière amorcée depuis les années 90 a favorisé l’émergence de grands groupes privées et une baisse drastique du nombre de lits dans les hôpitaux publics.
- Le contrôle des dépenses d’hospitalisation : mise en place de la Dotation globale de financement, de la T2A et du PMSI.
Tous les systèmes de santé au monde, ont essayé de contrôler leurs dépenses de santé avec des résultats différents, par une combinaison des ces trois mesures précitées. Pour mieux maîtriser les dépenses de santé en pratique, le contrôle sur l’offre de soins paraît plus facile que sur la demande de soins, car on ne peut pas empêcher les gens de consulter un médecin. Mais une régulation trop austère de l’offre (moins de médecins et de lits d’hospitalisation), provoquera plus de listes d’attente comme en Grande Bretagne. Les plus démunis seront les premières victimes à grossir les listes d’attente, alors que les plus riches pourront toujours aller vers une médecine libérale moins accessible financièrement et donc plus sélective.
Disons le de suite : l’architecture actuelle de notre système de santé débouchera vers une augmentation inexorable de nos dépenses de santé qui s’élevaient déjà à 80 milliards Xpf en 2015, n’est pas de bon augure.
Rappelons-le, on paye pour rester en vie, par crainte de la mort ! C’est toute la différence par rapport à d’autres dépenses courantes dans un ménage. D’où, la relégation du critère financier par le patient dans son processus décisionnel.
Le manque de transparence des frais de fonctionnement de la CPS
A chaque fois qu’on parle du sujet de l’avenir de la CPS, on évite toujours de débattre sur ses frais de fonctionnement anormalement élevés. On comprend que ce « sujet qui fâche » soit éludé par le Gouvernement et la gouvernance de la CPS : voir à ce sujet l’article dans TahitiInfos du 31/07/2023 « Les errements de la gestion RH de la CPS passés à la loupe« . Les frais de rémunérations du personnel sont édifiants. On paye même une prime… pour être venu au travail ! 1 milliard de francs de primes d’assiduité.
On ne fait que parler de la pérennité de la PSG, mais à un moment donné, il faudra bien plus de transparence dans les frais de fonctionnement de la CPS, si on veut avoir plus de soutien des cotisants. Rappelons que la mission de la CPS consiste à :
- d’abord encaisser nos cotisations;
- ensuite payer les salaires de son personnel et ses frais de fonctionnement en général;
- en dernier payer les prestations sociales telles les dépenses de santé, les retraites, etc ….
A ce sujet, on s’étonne qu’aucun gouvernement ne demande plus de transparence à la CPS pour ses frais de fonctionnement. Dans son dernier rapport annuel d’activité 2020, la CPS, à qui le Pays a confié le monopole de la gestion de notre protection sociale, a « noyé » dans ses tableaux certains indices :
- page 95 : Budget RGS « charges administratives » pour 2,6 milliards xpf ; selon le rapport de la Chambre Territoriale des Comptes (CTC) publié en juin 2022 : effectif de plus de 500 agents pour une masse salariale de 2,8 milliards xpf.
- page 96 : Budget RNS « charges administratives » pour 320 millions xpf
- page 97 : Budget RSPF « frais de gestion » pour 886 millions xpf
Faut-il en déduire que la CPS nous coûterait 3,8 milliards xpf/an (2,6 + 0,32 + 0,886) en frais de fonctionnement? Quel est le coût final ramené au nombre de personnes qui dépendent des services de la CPS ? Malheureusement, le manque de transparence dans ces comptes incite à des critiques infondées. Ne jetons pas de l’huile sur le feu en cette période de disette, mais charité bien ordonnée ne doit pas commencer par soi-même !
Est-ce un rêve de croire que la CPS divulguera bien un jour ses comptes annuels de frais de fonctionnement, certifiés par des cabinets comptables agréés, détaillant :
- les salaires (avantages en nature inclus) et les effectifs par service pour estimer le coût salarial par personne;
- les rémunérations (avantages en nature inclus) des membres des divers régimes;
- le solde des frais d’exploitation divers de l’institution.
Je suggère un schéma d’audit suivant pour bien suivre les flux de trésorerie :
- au départ le solde initial de trésorerie des divers comptes
- les encaissements des cotisations et autres revenus divers entrant dans ces comptes de trésorerie;
- les décaissements à partir de ces comptes de trésorerie pour :
- les frais de fonctionnement de la CPS;
- les diverses prestations sociales;
- au final les divers soldes de compte de trésorerie après ces flux d’entrées et de sorties de trésorerie
Peut-être que cette transparence viendra un jour. Continuons à rêver!
La quadrature du cercle
Il est indéniable qu’une population croissante impliquera toujours une demande croissante de soins quasi-gratuits, grâce à la prise en charge par le système de santé. Nous sommes donc confrontés, comme tous les systèmes de santé au monde, à la quadrature du cercle détaillée comme suit :
- garantir l’égalité d’accès aux soins à tous comme le « système beveridgien » ;
- garantir un bon niveau de qualité de soins à tous ; les plus démunis doivent aussi avoir ce droit. M. Marc Blondel de F.O. a bien dit, qu’il voulait être aussi bien soigné que M. Ernest-Antoine Seillière, patron du MEDEF. C’est dire toute la portée de l’égalité d’accès aux soins en France.
- accorder la liberté au patient de choisir son médecin comme le système de santé français qui permet aussi une meilleure réactivité du système et qui évite donc les longues listes d’attente courantes dans les hôpitaux publics ;
- assurer une viabilité financière du système de protection universaliste ; un défi de taille qui hante tous les systèmes de santé au monde.
Toutes les réformes de santé dans le monde se sont résumées à résoudre en premier, le dilemme essentiel suivant : comment réduire les déficits chroniques de l’assurance maladie, sans provoquer la rupture d’égalité d’accès aux soins et les listes d’attente. La C.P.S. réduit régulièrement le panier de biens et de services pris en charge par l’assurance maladie. Cette mesure pénalise en premier les plus démunis et offre peu de levier sur la demande de soins croissante, à long terme.
5/ QUEL MODEL ECONOMIQUE RETENIR ?
On arrive au point essentiel de ce débat : quel modèle choisir? Malheureusement, il n’y a pas de « panacée ». La preuve chaque pays a conçu son propre modèle selon sa culture. La C.P.S., au début de son histoire, pour ne pas réinventer la roue, a recopié dans les grandes lignes, le système de santé de la France ; ce qui explique une similitude de la problématique : conciliation périlleuse d’un financement socialisé (modèle beveridgien) et d’une médecine privée (système libéral).
En 2000, l’OMS a primé avec beaucoup de controverse la France, pour avoir le meilleur système de santé au monde, en se basant sur un système de notation assez ambigu (voir le Rapport de l’OMS 2000) :
- ¼ pour le niveau de santé, mesuré par l’espérance de vie corrigée de l’incapacité (ECVI);
- ¼ pour l’inégalité constatée dans les états de santé;
- ¼ pour la réactivité du système de santé (respect du malade, confidentialité, rapidité de la prise en charge);
- ¼ pour l’équité de la contribution financière, selon les moyens plutôt que selon les besoins;

Depuis la France est tombée en 16ième position selon un autre classement : celui de l’Institut Legatum, basé à Londres (voir la 13e édition de son index annuel mondial sur la prospérité de novembre 2019). Ce classement est basé sur d’autres variables pondérées pour définir le meilleur système de santé. Bref, on pourra en débattre à longueur de journée sur l’opportunité et la pondération des variables retenues mais les pays les mieux placés sont … aussi les pays les plus riches disposant d’une grande quantité de ressources. Donc peut-on conclure que c’est le cas aussi de la Polynésie puisque le poids de nos dépenses de santé dépasserait les 15% du PIB pour se rapprocher de celui des Etats-Unis. Auquel cas, il est grand temps que l’Etat assume sa responsabilité constitutionnelle en prenant en charge nos dépenses de santé comme c’est le cas pour l’éducation.
La maîtrise des dépenses de santé en France a été un échec. Pendant vingt ans (1975-1995) dix sept plans de redressement des pouvoirs publics se sont succédés (du Plan Durafour au Plan Juppé), avec toujours des déficits abyssaux records. Le suivi des dépenses est confus. Les responsabilités pour les objectifs sont diluées voire opaques à tous les échelons décisionnels (local, régional, national) ; ce qui explique des dépenses de santé difficilement contrôlables. De 2000 à 2017 le déficit de la branche maladie a perduré : voir le graphe ci-dessous. La crise de la Covid-19 a certainement exacerbé ce déficit.

Le recours au modèle d’établissement à « but non lucratif » pour « chasser » le capitalisme hors du domaine de la santé, et espérer mieux maîtriser les dépenses de santé, est une illusion bien entretenue par ceux qui ont un intérêt à agir. La preuve dans la dialyse, l’APURAD (une association de la loi de 1901) qui a pu accumuler plus de 600 millions de réserves (pour ne pas dire bénéfices dans le jargon comptable), est maintenant, selon le directeur Raffin, incapable de rembourser cet argent injustement gagné sur le dos de la CPS (voir à la conclusion Posface de mon article Dialyse : « D’où viennent les 600 millions de Fcfp de réserves de l’APURAD ?« ).
Aux Etats-Unis en 1999 les hôpitaux publics et privés à but non lucratif, représentaient plus de 89 % en nombre de lits (voir Steven Jonas, MD, MPH, FACPM, An introduction to the US Health Care System, 5th edition, 2003) ; ce qui n’a pas empêché ce système de santé d’être le plus coûteux au monde.
La parade est classique et notoire : on fait valoir un motif désintéressé pour mieux asseoir ses intérêts privés. Ces hôpitaux américains à but non lucratif (appelés là-bas, « The general hospitals »), utilisant souvent des noms à consonance religieuse, sont devenus de gigantesques entreprises. Un premier constat, porte sur un accroissement important des revenus déjà élevés de leurs médecins et de leurs dirigeants, grâce à leurs puissants groupes de pression auprès du Congrès, pour empêcher la concurrence voir la présence des cliniques privées à but lucratif, appelés « specialty hospitals » (voir Regina Herzlinger, Professor Harvard Business School, Who Killed Health Care? 2007, chapitre 3).

Quel que soit ces établissements à but non lucratif, leurs gestionnaires sont dans la même logique de raisonnement suivante :
- Si la gestion est bénéficiaire : les profits qui ne peuvent être distribués, sont souvent résorbés par une hausse conséquente des frais de fonctionnement.
- Si la gestion est déficitaire : les pouvoirs publics se retrouvent obligés de renflouer financièrement ces établissements à but non lucratif, empêchant ainsi la concurrence provenant des établissements privées à but lucratif.
On comprend donc facilement pourquoi les gestionnaires sont peu motivés pour une gestion au moindre coût, puisque dans les deux cas de figure, l’existence de l’entreprise n’est pas compromise. En effet, dans ces établissements on constate en générale une expansion de leurs charges de fonctionnement (notamment la rémunération des dirigeants) au détriment de leur compétitivité dans l’offre de soins. Si le « but non lucratif » dans le cadre d’une participation au service public hospitalier (PSPH) assure bien une sécurité de financement public pour l’établissement en question, en revanche, il incite difficilement à plus d’excellence productiviste, au même titre qu’une clinique « à but lucratif » qui elle, est en quête d’une survie commerciale. C’est l’éternel débat de fond entre un système libéral (où la compétitivité est le critère de survie), et un système protectionniste de service public (où la survie économique est un avantage acquis comme en droit social!). J’en parle justement dans l’introduction de mon blog : Mon objectif dans To’u Fenua.
L’Allemagne, la Suède et le Canada dont la quasi-totalité des établissements hospitaliers sont à but non lucratif, ont un coût de santé par habitant plus élevé que celui de la France qui avait 29% d’établissements hospitaliers à but non lucratif contre 37,7% d’établissements privés à but lucratif (Source : Statistiques annuelles des Etablissements de Santé au 31/12/2002).
Rappelons l’objectif recherché pour proposer une médecine de caisse : A volume constant d’activité médicale ou d’actes médicaux émis, le total des charges sociales des médecin-salariés d’une médecine de caisse DOIT ETRE INFERIEUR au total des honoraires des médecins libéraux qui auraient été payés à l’acte dans une clinique privée.
Certes, comme un assureur privé américain (H.M.O. à but non lucratif, voir supra), la CPS pourrait assurer l’offre de soins avec des médecins salariés comme au CHPF. Mais ne rêvons pas, les médecins libéraux ici comme leurs homologues de la Confédération des Syndicats Médicaux Français (CSMF) en France, ont su préserver dans les grandes lignes, leur Charte du 30 novembre 1927 (voir Supra). De plus dans une volonté de sécuriser l’existence de la médecine libérale, la C.P.S. s’est également engagée à ne pas mettre en place une « médecine de caisse » (voir page 8 sur 42 de la convention 2005 entre la C.P.S. et la médecine libérale).
L‘Académie de Médecine – version 2021– définit la « médecine de caisse » comme un « Système de soins dans lequel la dispense des soins et l’activité des médecins seraient totalement contrôlées, dans leurs modalités et leurs prescriptions, par les organismes de protection sociale.
La médecine de caisse s’opposerait à la médecine libérale par la tarification des honoraires, par l’obligation pour les malades de ne consulter que les médecins au service des caisses, par des entraves à la liberté de prescription, etc.
C’est donc un modèle économique « violent » qui réduit la liberté du patient de choisir sont médecin personnel. Certes, il enlèverait définitivement le doute, que certains médecins libéraux soient tentés de pousser à la consommation de soins pour augmenter leur revenu afin d’amortir leur outil de travail. Mais ce modèle TUE la médecine libérale! Ce qui est lourd de conséquence sur la vitalité économique actuelle de ce secteur libéral.
Si la médecine de caisse paraît attractive pour le payeur, en pratique, les choses ne se passent pas forcément comme le payeur de soins a prévu dans son « étude de faisabilité » si tenté qu’elle existe, car :
- Les médecins libéraux s’opposeront avec violence pour la sauvegarde de l’activité de leur cabinet médical qu’ils monnayent à leur sortie de notre système de santé. Celui qui a investi dans un matériel médical coûteux, sera tenté de l’amortir en optimisant son utilisation. Quoi de plus normal pour un acteur économique vital à notre système de santé.
- La CPS n’a aucune expérience dans la production de soins. A moins qu’elle fasse appel à un grand partenaire mutualiste de l’hospitalisation privée qui ne se trouve pas forcément en France. Auquel cas, une telle option pourrait être crédible à terme.
- Si la médecine de caisse n’est pas gérée à « la carotte ou au bâton » comme pour le cas d’une clinique privée, on risque alors d’aboutir à un CHPF bis grevé d’une productivité médiocre où tout le personnel n’aura aucun intérêt à travailler plus pour être payé au même salaire; voir mon article de novembre 2018 « Le Centre Hospitalier de Polynésie Française (CHPF) : une situation financière qui inquiète.«
On est donc confronté au dilemme suivant sur un choix de société :
- Soit les dépenses de santé continuent d’être vues comme un poids économique à minimiser dans notre PIB, à cause des soins payés sur des deniers publics. Auquel cas, pour mieux encadrer les dépassements budgétaires de cet important secteur d’activité englobant maintenant de gros acteurs, la puissance publique devra « contenir » le « redoutable stylo » des médecins faisant du zèle dans la rédaction des ordonnances.
- Soit les dépenses de santé sont vues comme faisant partie d’une activité « libérale » (au sens large du terme) dont le poids économique est à maximiser dans notre PIB. Auquel cas, les financements publics devront être remplacés par des financements privés et l’installation libre des médecins détenant des diplômes reconnus, sera autorisée. Cette approche risque de provoquer la hausse des prix de soins puisqu’ils ne seront plus payés sur des deniers publics, exacerbant ainsi l’inégalité d’accès aux soins au préjudice des plus démunis.
Donc la recherche de l’équilibre économique est délicate. Comme en géopolitique, tout est une question de RAPPORT DE FORCE. Mais oui, la santé publique reste AVANT TOUT UNE HISTOIRE DE SOUS ET MÊME DE GROS SOUS. Quoiqu’en pensent les puristes de la déontologie médicale, la profession médicale (spécifiquement les pharmacies ici) est devenue un GROS BUSINESS soutenu par de puissants lobbys comme toute autre corporation du secteur marchand.
En attendant un débat public plus abouti sur le devenir de notre système de santé, dans l’immédiat laissons les médecins libéraux soigner leur patientèle; « chacun son métier et les vaches seront bien gardées« . N’allons pas si vite en besogne pour trouver des boucs émissaires, car on risque de « jeter le bébé avec l’eau du bain« !
Un cotisant à la CPS fervent du libéralisme!