Les problèmes réels de l’industrie de la perle de Tahiti : le paradoxe de vouloir faire du “social” avec un produit de luxe
Un article traduit de l’anglais et publié dans l’hebdomadaire Courrier international, en juin 2009 sous le titre « Rififi au paradis » résume bien l’opinion générale sur les problèmes qui mettent notre industrie perlière à genoux. Un avis repris avec violence, voici quelques mois, par le président Temaru alors qu’il annonçait la création de son « Tahiti Pearl Consortium » (TPC) et l’embauche d’un bijoutier italien pour « guider » cette nouvelle structure.
Quelques extraits de cet article :
« Des cocotiers et du sable blanc, une couronne de terre qui entoure un lagon bleu turquoise sous le chaud soleil du Pacifique. Nous sommes à Apataki, un atoll de l’archipel des Tuamotu
(…) Quatre fois par an, Alfred Lau se rend à Papeete porter sa récolte au GIE Poe Rava Nui, un groupement d’intérêt écono- mique de 450 petits producteurs [ou micro-entreprises familiales] qui se charge de l’expertise, du tri et de la vente aux enchères des perles. Aux portes de la salle de tri, où des milliers de perles brillent de leur éclat mystérieux, Alfred Martin, le directeur, se désole de la chute des prix qui affecte depuis quelques années les marchés internationaux. Les négociants sont les premiers respon- sables, selon lui. “Ils ne respectent pas le prix de revient des perles et profitent de la détresse de certains perliculteurs qui veulent vendre à tout prix”, dénonce-t-il, précisant qu’il en coûte 1000 francs CFP [environ 8,30 euros] au perliculteur pour produire un gramme de perle. En 2007, un gramme de perle se vendait en moyenne un peu plus de 12,50 euros à l’exportation (à des grossistes en perles ou en bijoux). Compte tenu des intermédiaires, il en reste bien peu pour faire vivre les habitants des lagons (…)
“Les négociants n’assurent aucun service au perliculteur, explique Alfred Martin. Pour eux, même un profit minime reste rentable.” Ils peuvent donc revendre les perles à des prix moins élevés, voire dérisoires, par rapport à ceux des regroupements. Loïc Wiart, négociant et fondateur de l’entreprise Poe Black Pearl, refuse pour sa part d’endosser la responsabilité et montre plutôt du doigt la surproduction. L’offre étant supérieure à la demande, il se dit contraint de baisser ses prix pour écouler son stock.
“Depuis dix ans, on cherche à limiter la production, mais les perliculteurs n’ont jamais été capables de se mettre d’accord sur la façon de le faire”, explique-t-il. Il faut dire que la filière perlière polynésienne est loin d’être homogène : sur 660 perliculteurs, 500 sont de petits producteurs, comme la famille Lau. Ceux-ci totalisent à peine 20% du chiffre d’affaires global, tandis que les quinze plus grosses entreprises accaparent 60% du magot. Ces gros producteurs – des entrepreneurs polynésiens proches du pouvoir local –, Alfred Lau les qualifie de requins… »
Or, qu’en est-il réellement ? Un perliculteur, Gilbert Wane, que nos lecteurs connaissent bien pour ses analyses économiques, tient à donner ici son analyse de la situation. Elle mérite notre attention. Alex du Prel.
NOUS OBSERVONS souvent sur la place publique un débat passionnel récurrent sur la perle. Le fait que tant de perliculteurs soient si divisés voire sérieusement opposés sur les questions essentielles qui touchent à l’avenir de notre perle, rend le public non-initié encore plus confus sur la vraie problématique.
Tout d’abord, un rapide historique de mon parcours personnel. Notre famille (en particulier mon oncle Robert Wan) s’étant lancée dans la perliculture en 1973 à Rikitea, est une des pionnières de la perle noire. À cette époque, le monde du luxe ne connaissait pas encore notre perle noire. Il a fallu des années de travail commercial aidé de l’excellente campagne de promotion du GIE Perles de Tahiti (maintenant dissout faute de budget conséquent) pour voir enfin s’établir la renommée mondiale de ce joyau.
Voici un an, en mars 2012, j’avais écrit un article sur notre économie en général (Tahiti Pacifique Magazine n° 250 « Réflexions sur le Sauvetage de l’Économie Tahitienne« ). Je mettais en exergue l’anomalie économique notoire suivante : sur 10 francs de richesse (PIB) créée en Polynésie française, 7 francs proviennent du secteur public et seulement 3 francs du secteur privé (chiffres 2003).
En d’autres termes, nous dépensons 70% de notre richesse pour de l’intérêt général ! Donc je reste dubitatif quand j’entends dire que pour relancer notre économie et équilibrer le budget du Pays, il faut essentiellement taxer encore plus le secteur privé qui pourtant ne contribue qu’à 30% du PIB !
Cette vision ne me choque point car jusqu’à présent la majorité des électeurs polynésiens a voulu que nos décideurs politiques (voir la composition de notre Assemblée de Polynésie), soient issus essentiellement du « secteur protégé » (englobant le « secteur public » et « para-public ») qui par nature est à l’abri de toute concurrence, locale comme internationale. C’est pourquoi je mets en exergue ce secteur protégé qui explique essentiellement notre grande difficulté à être compétitif.
Le Pays, à mon avis, n’est pas prêt pour les grandes réformes nécessaires afin d’affronter la mondialisation. Il nous faudra peut-être attendre encore d’autres générations pour pouvoir avoir la culture économique « adaptée » au contexte d’une vraie économie ouverte vers le monde. Certains utilisent l’euphémisme du « secteur marchand » en opposition au « secteur non-marchand » où la présence protectrice réelle de la puissance publique est mise sous silence. Ce secteur protégé local (à l’exclusion des fonctionnaires d’Etat non rémunérés par le Budget du Pays) qui pèse de manière prépondérante dans la destinée du Pays comporte donc :
- L’assemblée de Polynésie française et tous ses services annexes
- Le gouvernement et tous ses services annexes
- Les communes et tous leurs services annexes
- L’administrations et tous ses services annexes
- Le monde associatif qui dépend de subventions pour conduire une mission qualifiée de service public
- Les sociétés satellites qui dépendent directement ou indirectement de la puissance publique.
Si certaines ont acquis un « statut privé » et sont exposées à la concurrence, leur survie économique dépend en fait directement de la politique interventionniste du Pays. En voici les plus connues du public :
- Les sociétés d’économie mixte (SEM) et SAEM ; L’OPT et toutes ses participations dans les sociétés privées
- Les sociétés dont les actionnaires principaux sont l’Etat et le Pays, avec toutes leurs participations dans les sociétés privées
- Air Tahiti et toutes ses participations dans les sociétés privées
- Air Tahiti Nui et toutes ses participations dans les sociétés privées
Tant que ce « secteur public » pèsera 70% dans notre économie, les choses changeront peu à court et à moyen terme.
L’idéal serait bien sûre de réduire assez rapidement le secteur protégé au profit du secteur exposé (privé); ce qui est plus facile à dire qu’à faire. Malheureusement, le poids du secteur protégé a largement dépassé le seuil critique, à tel point qu’il a étouffé l’initiative privée du secteur exposé.

Malgré les 490 millions Fcfp (4,2 millions €) par jour (365 jours par an) injectés par l’Etat en P.F., principalement pour ses missions régaliennes classiques telles l’armée, la sécurité civile, la justice, l’éducation, les relations internationales, nos décideurs politiques ont encore du mal à boucler le budget du Pays. Que cela va-t-il être lorsqu’on sera indépendant ?
Tahiti Pearl Consortium
Aujourd’hui, le gouvernement Temaru par l’intermédiaire du Projet Tahiti Pearl Consortium (TPC) veut accroître sa politique interventionniste. Selon le consultant international de l’ONU, M. Gaëtano Cavalieri, le gouvernement Temaru aurait le devoir, comme l’administration Obama l’a fait en 2009 pour préserver General Motor et Chrysler, de sauver la perliculture en se lançant dans la « commercialisation de la perle » (sic !). Le but recherché est toujours louable, mais la stratégie commerciale retenue est encore dénuée de bon sens dans un contexte libéral ouvert à la mondialisation et, qui plus est, va encore faire grossir le secteur protégé.
En effet, dans l’exemple américain on n’a pas vu le gouvernement Obama se mettre à vendre des voitures de GM et de Chrysler, comme le propose le projet TPC. Je ne vois tout simplement pas comment un employé du secteur protégé serait mieux placé pour vendre nos perles. Je crains fort que l’on aura encore du personnel recherchant principalement une sinécure, sans obligation de résultat.
Situation actuelle et rôle joué par le politique
On comprend que le politique veuille tout « naturellement protéger » les petits perliculteurs qui seraient malmenés par les « gros méchants » perliculteurs et acheteurs. Récemment le Président Temaru a cité publiquement le mot « corruption » pour parler de ces méchants gros. Mais il oublie vite une chose : tous les perliculteurs ont choisi de se lancer dans ce métier risqué. Combien de fortunes en milliards de Fcfp ont été perdues dans cette aventure qui est devenue un vrai cauchemar pour beaucoup, comme pour les petits producteurs maintenant.
Nos dirigeants politiques proposent souvent une « batterie » de mesures dont les piètres résultats sur le terrain sont à la hauteur de leur véritable courage politique. Pourtant il est de notoriété publique que l’espèce de « no man’s land » que nous rencontrons actuellement s’explique principalement par les trois problèmes suivants :
- Le problème rédhibitoire de moyens : il est impossible de contrôler avec efficacité toutes les fermes perlières réparties dans les Tuamotu, aussi vaste que l’Europe et aux moyens de transports aléatoire. Le gouvernement a tout essayé, même investi dans un très coûteux système de surveillance par satellite en 2002, dont on n’a plus entendu parler depuis.
Alors que la puissance publique est incapable de contrôler actuellement les « mauvais élèves », comment espérer plus de contrôle sur le terrain tels que :- l’application plus stricte des textes existants en vigueur relatifs aux concessions maritimes et aux stations de collectage, avec des contrôles accrus des surfaces effectivement exploitées ;
- les contrôles quantitatifs et qualitatifs rigoureux des productions ; il est impossible de compter tout le stock de nacres sous l’eau, réparti dans les Tuamotu.
- les mesures suivantes irréalistes telles :
- le contingentement du stock de nacres autorisé par concession ;
- les contrôles des densités de nacres en eau ;
- la fixation réglementaire d’une durée minimale en eau pour les nacres après la greffe ;
- le renforcement des contrôles de la Caisse de Prévoyance Sociale et de la direction du Travail sur le terrain pour lutter contre le « travail au noir » ;
- l’identification des francs tireurs et des tricheurs (exportations par contrebande) et les évincer de la production par le non renouvellement des concessions, la saisie des matériels, saisie des biens immobiliers, amendes très lourdes…
- l’augmentation irréaliste des loyers des concessions maritimes (dont on ne contrôle pas l’étendue) qui va empirer les coûts de production et la tendance des faillites pour ceux qui respectent la réglementation. Et nul besoin de réduire les surfaces de concessions via « décret » en visant les gros producteurs ; les forces du marché font déjà le travail.
- Le problème du clientélisme électoral : quel que soit le pouvoir politique en place, il n’ira jamais directement contre les insulaires qui lui apportent des voix. Alors que le gouvernement dénonce la surproduction, il accorde de nouvelles vastes concessions (lire le Journal officiel). D’où la « fausse bonne » idée de faire appel à des consultants étrangers pour résoudre nos problèmes « internes » à la perliculture, surtout si ceux-ci n’ont aucune idée de l’anarchie de notre secteur perlicole. Faut-il vraiment aller chercher à l’extérieur des spécialistes en marketing « neutres » recrutés à prix d’or pour régler nos problèmes « endogènes » ? J’en doute vraiment.
- Le problème des conflits d’intérêt : beaucoup de maires aux Tuamotu sont eux-mêmes directement ou indirectement des perliculteurs. Pour avoir des « voix politiques », le système actuel de demande d’autorisations a doté ces maires d’un « pouvoir de signature » pour accorder des concessions maritimes et autoriser des transferts de nacres. En tant que perliculteur, je me suis souvent retrouvé à devoir aller solliciter des signatures d’autorisation à des maires qui sont aussi mes propres concurrents. Ainsi donc une concertation entre les producteurs, les maires et leurs conseils municipaux pour une fixation par la puissance publique d’un quota global annuel de production (à définir), applicable à l’ensemble des lieux de production, relève à mon avis de l’utopie.
Le pouvoir politique a tellement l’habitude de baigner dans le mélange des genres que le très francophile Aram J. Kevorkian voit l’influence de Descartes dans la culture française que les Polynésiens ont vite assimilée : « Les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes vraies… ». Nos gouvernants sont devenus des fervents de la « vérité subjective ». Ils trouvent tout naturel de ne consulter que leur propre esprit pour ne pas constater un « conflit d’intérêt » dans leur quotidien. Dans Tahiti-Infos du 15 et 18 novembre 2021, m’ont interpellé trois articles dont les titres évocateurs ne surprennent plus personne :
- article du 15/11/2021 titré « Corruption : Le ras-le-bol des Polynésiens« ;
- article du 15/11/2021 titré « Corruption : Le privé moins mal perçu que le public au fenua« ;
- article du 18/11/2021 titré « Un gouvernement vu peu transparent et déconnecté de la population« .
Donc le politique devrait s’attaquer à ces trois problèmes (de moyens, de clientélisme et de conflit d’intérêt) avant d’imposer le projet de Tahiti Pearl Consortium (TPC) qui permet au Pays de s’immiscer aussi dans la commercialisation.
Interventionnisme qui a totalement saboté la concurrence entre producteurs
Ci-dessous, un graphe qui frappe par la montée vertigineuse de la quantité de perles exportées qui est passé de quelques centaines de kilos à plus de 16 tonnes pour retomber à 14 tonnes en 2012. Face à ce constat, comment parler de politique de raréfaction pour sécuriser l’image de luxe de notre perle ?

Et voici un autre graphique qui montre la baisse des valeurs d’exportation à partir de l’année 2000.

Chronologie des erreurs
Ci-dessous, une chronologie des événements que j’ai vécus en tant que producteur :
- Année 2000 : Point culminant du total de la valeur d’exportation des perles : 20 milliards Fcfp (comparé à 6,8 milliards en 2012 ; soit une évaporation de 13,2 milliards Fcfp de chiffre d’affaires, ou -66%) ;
- Année 2001 : Le gouvernement impose l’arrêté n° 568 CM du 26 avril 2001 qui oblige un quota de 5 embauches locales pour un greffeur étranger, mais avec dérogation pour les GIE perliculteurs qui peuvent recruter et fournir des greffeurs étrangers aux « petits » perliculteurs, sans obligation de quota d’embauche locale.
- Années 2003-2004 : Beaucoup de greffeurs chinois commencent à affluer aux Tuamotu grâce aux dérogations accordées aux GIEs qui débutent des campagnes de greffes intensives. Ne bénéficiant pas de dérogation comme les GIE, j’avais une trentaine d’employés locaux en trop que je devais maintenir pour garder mes 13 greffeurs chinois. Mon expert-comptable a estimé ce surcoût en charges sociales à 462 millions Fcfp pour la période de 2001 à 2008. Par ailleurs, beaucoup de greffeurs étrangers des GIE allaient de ferme en ferme proposer leur prestation de service sous forme de « prêt de main d’œuvre », ce qui est pourtant illégal. Il est de notoriété publique que ces mêmes greffeurs proposent aussi de « greffer en parallèle », hors du cadre du GIE. La parade est simple : en dehors des heures légales de travail ou passé un certain quota de greffes déclarées au GIE, le greffeur greffe un surplus de nacres qui est payé directement par le perliculteur, généralement à un tarif plus bas. C’est le fameux « travail au noir » de « l’économie souterraine« .
- Années 2006-2007 : 18 mois après l’arrivée de nombreux greffeurs chinois, début des récoltes massives ; voir le graphique ci-contre.
- Années 2008-2009 : Avec la crise financière mondiale qui frappe les perliculteurs de plein fouet, les pouvoirs publics intensifient leur politique interventionniste :
- Modification en urgence de l’arrêté 568 CM du 26 avril 2001 par l’arrêté n° 1149 CM du 20 août 2008 qui réduit de 5 à 3 l’obligation d’embauche locale pour 1 greffeur étranger. Mais perdurent les dérogations qui permettent aux GIE de recruter des greffeurs étrangers sans obligation d’embauche locale ;
- 2009 : Création de la Maison de la Perle (MDP) avec un statut d’établissement Public (EPIC). Cette EPIC reste contrôlé par les décideurs politiques au « nez et à la barbe » des professionnels qui n’ont pas de pouvoir décisionnel au sein du Conseil d’administration. Jusqu’à ce jour, la représentativité et le rôle de cet EPIC restent très controversés. La MDP a-t-elle vocation à faire de la commercialisation ?
- Face à l’effondrement du cours de la perle, l’Assemblée de Polynésie vote in extremis la loi de pays n° 2009-18 du 28 octobre 2009 qui annule temporairement le Droit Spécifique sur les Perles Exportées (DSPE) de 200 Fcfp/gr qui pesait trop lourdement dans le prix de la perle. Les perles invendues qui se sont accumulées ces dernières années sont alors exportées en masse pour profiter de cette annulation de la DSPE. Puis la taxe à l’exportation a été reconduite, mais à 50 Fcfp/la perle.
- Année 2011 : Après 10 années (!) de contentieux, le 29 juillet 2011 la Cour administrative d’Appel de Paris juge illégal l’arrêté n° 568 CM du 26 avril 2001 en abrogeant ses articles 4 et 6. C’est une victoire pour moi qui avais engagé ce contentieux et un sérieux revers à la politique interventionniste du Pays. Malheureusement, le combat reste inégal : nous avons perdu beaucoup d’argent et de temps dans ce contentieux contre le Pays qui, lui, puise dans ses recettes budgétaires (notre argent des contribuables) pour payer en toute quiétude son armée de juristes.
- Janvier 2013 : Dissolution de la MDP pour créer le TPC qui serait en réalité une société de négoce pour venir soutenir le cours de la perle tout en ayant vocation à dégager des bénéfices (sic !). Auquel cas, comment peut-on soutenir le prix de la perle si le TPC doit aussi dégager un bénéfice ? Le secteur protégé a vraiment l’art de faire des affaires en version « soft ».

Miracle aux Tuamotu : production sans main-d’œuvre
Face à la surproduction anarchique dans un cadre de « concurrence déloyale », la plupart des grosses entreprises, si elles n’ont pas fait faillite, ont dû réduire drastiquement leur production depuis 2005. Ce qui a entraîné une baisse brutale des effectifs déclarés à la CPS.
Or, la production de perles continuait de flamber ! Aujourd’hui, on constate que les structures essentiellement familiales sont devenues de gros producteurs qui, étrangement, n’ont pas ou peu d’employés. C’est tant mieux pour elles et tant mieux pour la politique sociale interventionniste du Pays, qui a ainsi réussi sa politique de « nivellement par le bas« .
L’article de Tahiti-infos du 06/12/2021, titré La Chambre Territoriale des Comptes (CTC) pointe « l’ampleur du travail dissimulé » dans la perliculture, rejoint ce que nous avons toujours dénoncé : i.e. la perle noire produite au noir!
Les raisons de la chute du prix de la perle – Un nouveau paradigme est né : le social a pris le dessus du luxe
Ci-dessous, les chiffres qui montrent la descente aux enfers du prix de la perle nue. Voici les derniers cours actuels pour une perle qui pèse 1 gramme :
- 2009 : 487 Fcfp/gr
- 2010 : 458 Fcfp/gr
- 2011 : 485 Fcfp/gr
- 2012 : 491 Fcfp/gr
(Source : Statistiques des Douanes)
En posant côte à côte le graphique du prix/gr et celui de la production (page précédente), on devine vite les raisons de cette « déconfiture » de la perle : un déséquilibre total entre la production qui a « explosé » en volume, essentiellement de mauvaise qualité, et la demande qui n’a pas pu suivre.
Donc la politique sociale a bien accouché d’un « nivellement par le bas » avec un prix/gr de notre perle qui a été divisé par 20 comparé à l’année 1986 où on a exporté 104 114 gr pour une valeur de 997 millions Fcfp (soit 9584 Fcfp/gr contre 491 Fcfp/gr 2012). Il est vrai que vu de 2012, 104 kg de perles exportées c’est ridiculement bas. Quoi qu’il en soit, le prix/gr de notre perle est quand même retourné à la case départ trente ans en arrière, en 1972 !
Imaginez un seul instant n’importe quelle entreprise dont le prix de vente de son produit est divisé par 20… (imaginez la baguette de pain passer de 55 Fcfp à 2,7 Fcfp !) Il s’en est suivi effectivement le désastre économique que l’on connaît aujourd’hui.
Mais qui donc a augmenté considérablement sa production perlière ? Les petits ou les gros producteurs ? Est-ce vraiment les gros producteurs (fichés par des n° R.C.S., n° employeur CPS, n° Tahiti) qui sont sortis gagnants dans cette course « folle » à la production ?
Moyen de vérifier…
A nos dirigeants politiques en mal de solution et de bon sens, je leur propose la réflexion suivante : comparez les cotisations CPS du secteur de la perliculture avec la quantité de perles exportées. Je n’ai malheureusement pas le privilège d’accéder à ces chiffres « internes » à la CPS.
Néanmoins, il suffit que ceux qui y ont accès confirment si vraiment on est face à une mutation flagrante, ce que certains biens avisés commencent d’ailleurs à admettre. Une chose est certaine : on n’a pas encore réussi à inventer une machine à fabriquer automatiquement notre perle naturelle. Le niveau de mécanisation est très bas dans ce secteur. Produire une perle nécessite beaucoup d’attente (5 ans du stade de collectage de naissains jusqu’à la récolte) et les charges sociales pèsent entre 40% à 50% du prix de revient pour une ferme qui respecte les textes.
Normalement, plus la production augmente (ce qui est le cas depuis 2006) plus il faut de la main-d’œuvre. Certes la corrélation entre la production et le total des effectifs déclarés à la CPS n’est pas linéaire (grâce aux économies d’échelle), mais elle ne doit certainement pas être négative ! Car il est impossible d’augmenter sa production perlière tout en réduisant son personnel.
Donc les pertes importantes d’emplois observées par la CPS dans le secteur perlicole ces dernières années sont une tendance illogique face à la surproduction que nous observons pour la même période, même en tenant compte du décalage entre le moment de la greffe et 12-18 mois plus tard de la récolte.
Je crains donc fort que les forces du marché ont accouché d’un paradigme atypique suivant :
- Un système de troc plus répandu entre producteurs par manque de liquidités : “Tu me
donnes des nacres, je te donne en contrepartie des bouées, des cordes, etc…”; “Tu me prêtes tes greffeurs et on se partage le stock des nacres greffées”, etc. - Un travail au noir plus important : moins de salariés déclarés à la CPS par les producteurs ; moins de perliculteurs en règle avec les concessions maritimes
- Une mutation structurelle de la production perlière : Les petites fermes familiales sont devenues des unités de productions plus compétitives que les grosses entreprises perlières classiques qui, elles, justifient des dizaines d’employés souvent syndiqués et déclarés à la CPS. Ces structures familiales n’ont que peu, voire aucun salarié déclaré à la CPS grâce aux greffeurs fournis en « prêt de main d’œuvre » par les GIE.
Donc imaginez la compétitivité d’une ferme perlière familiale qui n’a peu, voire aucune charge sociale contre 40% à 50% pour un « gros méchant » perliculteur ; il n’y a pas photo. Les structures familiales sont devenues effectivement des entreprises « super » compétitives. On retrouve cette même situation “atypique” dans la production de notre vanille mûre qui a le prix de revient producteur le plus élevé au monde (entre 3000 à 4400 Fcfp/kg) avec des charges sociales pesant entre 80% à 90% selon le rendement hypothétique de 2 kg à 3 kg par tuteur.
Structures familiales = avenir de notre perle noire ?
Que les partisans de la redistribution de la richesse soient rassurés par cette déconfiture : le prix du marché de la perle s’applique à tous, petit ou gros perliculteur. Les gros producteurs qui s’en sortaient en faisant de l’économie d’échelle n’y arrivent plus. C’est pourquoi, la plupart des gros perliculteurs qui avaient du personnel déclaré à la CPS ont quasiment disparu. La seule façon d’être compétitif maintenant avec des prix aussi bas (491 Fcfp/gr) est de réduire drastiquement les frais de fonctionnement. Le modèle idéal de production reste la ferme perlière familiale où les membres de la famille sont les seuls employés. Ils ne se payent pas en tant que salariés déclarés à la CPS. Mais ils s’entendent sur une rémunération aléatoire en fonction du « surplus de trésorerie » dégagé au moment des ventes de leurs récoltes. Ainsi, les structures familiales qui ont peu de charges sociales sont maintenant l’avenir de notre perle noire… mais valorisée au cours actuel ! C’est un retour à la vie communautaire polynésienne et îlienne traditionnelle, qui permet de survivre en évitant les paperasses et ponctions du gouvernement de Tahiti qui alimentent « la caste » C’est pourquoi le Pays lance désespérément son projet de la Tahiti Pearl Consortium (TPC) pour faire remonter le prix de la perle.
Je saisi cette opportunité pour soulever le problème structurel très grave du « désavantage concurrentiel » (par opposition au concept de « l’avantage concurrentiel » de Porter).
Dans mon article de mars 2012 dans le Tahiti Pacifique Magazine n°250 « Réflexions sur le Sauvetage de l’Économie Tahitienne« , concernant le secteur perlicole, je concluais en ces termes suivants : « le SMIG avec le système d’indexation des salaires et le Code du travail ne sont plus des outils appropriés dans le contexte des exportations de perles ; il faudra les adapter car toutes les industries tournées vers l’exportation peineront à être compétitives dans le contexte de la mondialisation ».
Plus précisément, si la CPS réussissait à forcer tous les perliculteurs de structure familiale à déclarer leur personnel, cela aurait impliqué effectivement des hausses officielles de coût de production :
- plus de cotisations sociales à payer ;
- plus de salaires relevés, les salaires payés au noir étant souvent inférieurs au SMIG ;
- moins de productivité par le respect des 39 heures hebdomadaires : la durée du travail au noir dépasse toujours les 39 heures hebdomadaires légales.
Ce qui pose la question suivante : est-ce que nos perliculteurs de structure familiale (les plus représentatifs des rescapés actuels) auraient pu survivre avec des coûts de production plus élevés ? Plus précisément, est-ce que le marché mondial aurait été capable d’absorber nos perles à un cours plus élevé ? A mon humble avis, j’en doute fort.
Travail long et patient
Sans l’ombre d’un doute, nous sommes dans un secteur très volatile où les risques financiers énormes fluctuent en fonction de la production couplée à une baisse de la demande dû au ralentissement de l’économie mondiale et à la concurrence des autres types de perles.
Les dernières statistiques d’exportations impliquent un total impressionnant de 18 à 24 millions de nacres greffées chaque année dans les fermes perlières, en prenant les hypothèses suivantes :
- 42% de récolte : sur 100 nacres greffées, on obtient 42 perles vendables (voir tableau plus bas).
- 18 mois de maturité entre la greffe et la récolte
- Perles récoltées immédiatement vendues et exportées.
Les derniers chiffres de 2012 confirment une légère baisse des exportations tant en quantité de perles (7,7 millions de perles) qu’en valeur d’exportation (6,8 milliards Fcfp). Cela s’est traduit par une légère augmentation du prix/gr de la perle (de 485 à 491 Fcfp/gr). Mais ces chiffres bruts pris en agrégats ne sont pas très significatifs lors des négociations des lots de perles. Ce qui importe c’est la tendance actuelle du marché qui reflète l’offre et la demande pour les types de perles spécifiques.
La combinaison fatale : surproduction & crise mondiale & concurrence
On ne doit jamais oublier que dans le contexte de la mondialisation notre perle de Tahiti a de sérieux concurrents : la perle Akoya du Japon, la South Seas Pearl d’Australie, d’Indonésie et des Philippines (Golden pearl) et la perle chinoise bon marché qui voit sa qualité et sa taille s’améliorer chaque année. Certes, ce sont des produits différents mais qui opèrent sur les mêmes circuits commerciaux. Il faut savoir que nos acheteurs historiques qui sont des négociants en perles de toutes origines, peuvent selon leurs intérêts commerciaux favoriser la vente des autres perles au détriment de notre perle de Tahiti.
Très peu de gens réalisent que nous sommes encore très chanceux d’être les seuls au monde à produire en masse de la perle noire. Des pays comme les Îles Cook, Fidji, îles Marshall et maintenant la Chine rêvent de pouvoir un jour produire la perle noire en grande quantité. Ces pays n’ont pas encore réussi à maîtriser la reproduction en masse de notre huître perlière, la Pinctada Margaritifera. Est-ce une question de temps ?
En tout les cas, si la Chine y arrivait un jour, nous n’aurons plus que nos yeux pour pleurer car on commencera à vendre nos perles au prix unitaire non plus en grammes mais en kilos, voir en quintaux de perles comme les perles d’eau douce que la Chine exporte en milliers de tonnes.
Quelle solution propose le gouvernement ?
Le projet gouvernemental Tahiti Pearl Consortium (TPC) est la suite logique pour parachever une politique sociale. Ci-dessus, je soutenais que les structures familiales sont devenues des unités de production très compétitives, comme c’est le cas dans la culture de la vanille. Etant donné que ces structures familiales sont souvent incapables d’assurer convenablement la commercialisation, les GIE sont venus combler ce vide en assurant des ventes aux enchères pour écouler les perles de leurs membres. Pour pouvoir retenir leurs membres, ces GIE ont fourni des greffeurs étrangers grâce à des dérogations à l’arrêté n° 568 CM du 26 avril 2001. Nous-mêmes, un groupe de perliculteurs “moyens”, venons de créer notre propre GIE Tahiti Pearl Auction, mais dans le seul but de relancer les ventes aux enchères localement, et nullement pour fournir des greffeurs étrangers. Puisque la Maison de la Perle (MDP) est censée être financée par nos taxes sur les perles exportées, nous avons conclu un partenariat pour qu’elle nous assure uniquement un soutien logistique (la commercialisation restant exclusivement sous notre responsabilité) afin de réduire le coût de nos ventes aux enchères.
Pour notre première vente de novembre 2012, nous avons signé une convention avec la MDP pour un tarif public de 15 Fcfp/perle, alors que nous venons d’apprendre avec surprise qu’elle n’avait absolument rien facturé pour sa vente aux enchères d’octobre 2010 à Bora Bora, pour les mêmes services.
Le consultant Cavalieri, cheville ouvrière du nouveau TCP, dans sa présentation pour redresser le cours de notre perle, a pris comme exemple à suivre la production du Jambon de Parme (N.D.L.R. : effectivement, dans la brochure de 24 pages (dont nous avons copie) payée 20 millions Fcfp, en anglais et pleine de fautes d’orthographe, M. Cavalieri présente l’industrie du jambon de parme comme modèle pour sauver la perle de Tahiti. Après analyse poussée du document, un recueil de banalités et généralités, nous le considérons comme une supercherie pure et simple. Si ce “machin” vaut 20 millions, le Tahiti-Pacifique que vous lisez vaut au moins 500 millions Fcfp ! Le président Temaru a-t-il encore été la victime d’un“confidence man”, d’un autre “smooth operator” écumant les “gogos” tropicaux?).
L’analogie retenue me paraît inappropriée. En effet, il y a une très grande différence entre ces deux produits. La production du Jambon de Parme repose sur une technique entièrement maîtrisée à deux niveaux :
La quantité de jambon à produire est strictement contrôlée : tant de kilos de cuissots de porc en entrée et tant de kg de jambon à la sortie.
La qualité du jambon est strictement maîtrisée par un procédé de fabrication bien précis : tant de salage, tant de séchage, tant de maturation, tant d’hygrométrie, etc.
La production perlière, en revanche, repose sur une technique difficilement maîtrisable à plusieurs niveaux :
- Impossibilité de contrôler les producteurs dans les Tuamotu qui est un espace trop grand à surveiller. La raréfaction de la perle est une illusion car on est dans une logique de production alimentée « essentiellement » par un système de reproduction naturelle des nacres. Tant qu’il y aura beaucoup de nacres (système de collectage de naissains naturels prolifiques), seule la volonté des perliculteurs décidera combien produire de perles.
- Impossibilité de maîtriser voire d’améliorer considérablement la qualité des perles qui relève beaucoup de Dame Nature (lire plus bas). Il y a trop de paramètres climatiques incontrôlables : température de l’eau qui affecte l’orient, qualité du plancton qui affecte le grossissement, profondeur de stockage qui affecter la couleur de la perle. Il n’existe pas réellement de procédé de fabrication. La qualité des perles oscille donc beaucoup d’une récolte à une autre. C’est pourquoi chaque moment de récolte correspond à une découverte intense pour le producteur. On ne sait jamais à l’avance ce qu’on va récolter, malgré un savoir-faire maîtrisé.
Face aux fermes perlières familiales devenues très compétitives mais qui ne sont pas structurées pour mieux exporter leurs perles, le Pays se retrouve « paternellement » tenté à vouloir faire mieux que les GIE en se lançant dans la commercialisation, comme pour la vanille. On a connu l’expérience de l’EPIC Vanille où les ses frais de fonctionnement ont dépassé la valeur totale des exportations de vanille (source Chambre des Comptes) ! Espérons que ce ne sera pas la même chose avec les perles.
Quoi qu’il en soit, le projet du TPC a bien démarré sur des « chapeaux de roues ». Le Pays a déjà validé 79 millions Fcfp pour les honoraires du consultant international Cavalieri (nous l’avons contesté avec succès devant le Tribunal Administratif de Papeete) et 500 millions Fcfp juste pour mettre en place la TPC dans lequel 51% seront détenus par la MDP. Donc le Pays n’aura pas encore acheté sa première perle qu’il aura déjà dépensé 579 millions juste pour ses frais de fonctionnement.
Le TPC propose dans sa stratégie commerciale de réduire les intermédiaires pour vendre directement aux grands bijoutiers. En d’autres termes, il veut se substituer aux acheteurs historiques du Japon et de Hong Kong qui pèsent actuellement pour 90% dans le total des achats de perles de Tahiti (voir le tableau ci dessous).
“Corporate Social Responsability”
Si en amont TPC arrivait, selon sa stratégie inavouée, à verrouiller la production pour obliger les fermes perlières existantes (essentiellement de structure familiale) à respecter le code Corporate Social Responsability (CSR), cela voudra dire que ces fermes familiales devront déclarer tout leur personnel à la CPS et ne travailleraient plus au noir.
Un système de traçabilité envisagé grâce à un monopole sur les nucleus permettrait de remonter à la source en cas de contrôle des producteurs. Respecter ce CSR va donc augmenter considérablement le prix de revient de ces fermes, au point que celles-ci ne seront plus compétitives si l’augmentation promise du cours de la perle n’est pas au rendez-vous.
Donc, dès le départ, le projet repose sur un objectif incompatible avec la politique sociale voulue jusqu’à présent par nos décideurs politiques. Le CSR deviendra donc un obstacle rédhibitoire pour beaucoup de fermes familiales, jusqu’à présent encore « compétitives».
Ensuite, en aval, sur le terrain de la commercialisation, le Pays doit avoir en main plus de 6 milliards Fcfp chaque année afin de pouvoir acheter « au-dessus » du cours actuel, indispensable pour concurrencer les acheteurs du Japon et de Hong Kong.
A-t-on prévu un tel budget en « fonds de roulement » pour financer les « achats cash » auprès des perliculteurs et les ventes à crédit (dépôts-vente ou « consignment basis ») chez les bijoutiers ? Nous savons tous que dans le commerce de la bijouterie, la plupart des bijoutiers bénéficient de crédits de plusieurs mois de la part de leurs fournisseurs, lesquels sont nos acheteurs actuels. Ces derniers se concurrencent à « couteaux tirés » pour accorder le plus de facilité de crédit possible afin de fidéliser un bijoutier-client.
Si la perle noire devient trop chère sous l’impulsion des revendeurs qui auront été écartés par la TPC, la demande mondiale aura tendance à se porter vers d’autres perles concurrentes, telles que la South Seas australienne, l’Akoya japonaise ou les perles d’Indonésie et de Philippines.
Se mettre les acheteurs à dos
Critiquer systématiquement le projet TPC n’est pas le but ici. Mais il faut que la puissance publique de Tahiti se rende compte qu’elle rentre dans le business international de la bijouterie, et ceci en se mettant à dos dès le départ les principaux acheteurs, au Japon comme à Hong Kong. J’espère vraiment que le consultant de l’ONU sera à la hauteur du combat commercial qui s’annonce, lui qui ne risque pas son argent, seulement nos deniers publics.

Quelle que soit la vraie stratégie commerciale du TPC, si l’objectif à terme est de « soutenir» le prix de la perle, le spectre du scénario de dévaluation de 4,1 milliards Fcfp des perles de Tahiti en 2009 est encore vivace.
« Faire plus de qualité pour remonter le prix de la perle »
Le gouvernement annonce que pour faire remonter le cours de la perle, il faut produire “plus de qualité”. Ah, quel bon sens, surtout pour des personnes non-initiées. Bien évidemment qu’il faut faire de la qualité pour vendre mieux. Mais quelle est réellement la marge de manoeuvre pour « plus de qualité » afin de faire remonter le prix de la perle ?

Basé sur mes décennies d’expérience dans la perliculture, j’ai essayé de faire des simulations à partir de statistiques de récolte fiables. Etant un plongeur professionnel de catégorie B, j’ai participé dans mes fermes depuis près de 20 ans à toutes les étapes de la production d’une perle. Du collectage des naissains en passant par les transferts des nacres entre lagons, de la table de greffe en passant par le tri et l’étude statistique des récoltes. Je n’ai aucune prétention de tout connaître dans ce métier, cependant, je peux au moins parler de mon expérience de près de 20 ans sur le terrain ; ce qui est différent comparé à un interlocuteur qui ne connaît la perliculture que sur papier, sans vraiment appréhender la portée des chiffres.
Avant de parler d’une récolte, il faut commencer par le début : la greffe. Toute étude sérieuse doit démarrer à partir des chiffres de la greffe. Pour pouvoir greffer, il faut avoir avant tout des nacres et pour avoir des nacres il faut remonter au collectage des naissains deux années auparavant. Pour faire simple, je ne parlerai pas de cette phase de collectage qui induit déjà beaucoup de risque financier et d’attente.
Peu de personnes avancent des chiffres basés sur la greffe car peu de producteurs tiennent une base de données informatisée des statistiques de leur ferme perlière. Ci-dessous, un tableau de statistiques de greffes (à ne pas confondre avec les statistiques de récolte) sur une période de plusieurs décennies. Cette base de données devrait constituer « une population » assez représentative du secteur. Elle cumule plusieurs millions de nacres greffées
et récoltées sur plusieurs décennies.

Donc en admettant une variation maximale de + ou – 20% entre perliculteurs, le meilleur rendement hypothétique serait de 42 perles X 1,2 = 50 perles vendables ou un pourcentage de récolte de 50% sur 100 nacres greffées. Ci-dessous, un autre tableau de simulation détaille cette fois-ci la répartition de ces 42 perles récoltées, valorisées au cours de décembre 2012 (bien sûr les prix varient beaucoup mais la base de comparaison est assez fiable).

A cela, il faut rajouter 50 Fcfp/perle de taxe à l’exportation (DSPE) pour avoir le prix toutes taxes comprises (TTC) d’une perle exportée.
Egalement, en admettant encore une variation maximale de + ou – 20% entre producteurs, on aura alors dans les meilleurs cas 20% en plus de ronde, semi-ronde ABCD au détriment des baroques, semi-baroques, cerclées qui se vendent mal. Ci-dessous un nouveau tableau de simulation avec cette nouvelle répartition :

Donc, dans le meilleur des cas, si tout le monde faisait « plus de qualité », le prix moyen d’une récolte sur la base de prix de décembre 2012 aurait augmenté de 35% (de 490 f/gr à 661 f/gr). Le scénario d’une ferme produisant que des rondes et semi-rondes Top AB n’existe que dans la tête des non-initiés qui veulent nous faire un plan sur la comète.
De plus, ces prix sont volatiles. Par exemple, les acheteurs pourront vous confirmer la tendance actuelle du marché :
- Une forte demande pour les rondes, semi-rondes de petits diamètres 8 à 10 mm qualité ABC de couleur foncé en général.
- Une très faible voire aucune demande :
- pour les tailles entre 11 mm à 13 mm, peu importe leur forme et leur qualité ;
- les baroques, semi baroques et cerclées, peu importe leur taille et qualité.
En conclusion, selon ces tableaux de simulation, avec un maximum de qualité produit par tout le monde, le prix moyen passe de 490 f/gr à 661 f/gr pour le perliculteur. En ajoutant encore un taux de variation de + ou – 20% sur 661 f/gr, cela donne une fourchette de 528 f/gr à 793 f/gr équivalent à 633 f/perle et 952 f/perle. Donc avec 952 f/perle au mieux, on est toujours très loin des chiffres imaginés par nos décideurs politiques.
De l’illusion à développer une marque (TPC) basée sur la perle de Tahiti
L’objectif premier pour la promotion de la perle de Tahiti est d’encourager les bijoutiers du monde entier à utiliser notre perle comme « matière première » pour leurs créations. A ce titre, le défunt « GIE Perles de Tahiti » a déjà dépensé des milliards de deniers publics pour le marketing de la perle de Tahiti auprès des bijoutiers du monde entier. Même jusqu’à ce jour, le monde de la bijouterie se rappelle encore de la marque « GIE Perles de Tahiti ».
Or, dans le projet gouvernemental, il est prévu aussi de développer une autre marque commerciale, “Tahiti Pearl Consortium” (TPC) pour garantir l’origine de la perle de Tahiti ; c’est-à-dire refaire exactement ce que le GIE Perles de Tahiti a déjà fait.
Que l’on investisse pour une Appellation d’origine protégée (AOP) cela se comprend pour asseoir un gage de qualité vis-à-vis des bijoutiers. Mais réinvestir des sommes énormes pour promouvoir une nouvelle marque, TPC, qui ne représente pas un « produit fini » dans le monde de la bijouterie, me laisse dubitatif.
Pourquoi, refaire ce travail coûteux puisque, de toutes manières, les bijoutiers mettront en avant leur propre « griffe » sur leurs créations ?
« Back to basics »
En théorie, on met en oeuvre une politique interventionniste lorsqu’il y a une carence du marché ou du secteur privé. Mais la baisse du cours de la perle représente-t-elle une carence du marché ? A entendre le gouvernement, il y en aurait une, dominée par les négociants et les gros producteurs qui opprimeraient les petits producteurs. C’est la raison de la création du TPC : la réponse du gouvernement.
Nous arrivons maintenant à la partie la plus importante du sujet : quelle serait la solution pour s’en sortir ? Avant de lancer une panoplie de mesures comme on voit souvent, une question préalable fondamentale devrait nous interpeller : voulons-nous faire de la perle de Tahiti un « produit de luxe » ou un « produit social » ?
Bien évidemment dans l’intérêt général de la redistribution de la richesse, les gouvernements successifs ont choisi d’utiliser la perle pour mener une politique sociale. C’est un choix politique et il faut le respecter, sur fond de la situation actuelle du secteur.
Je n’ai pas de propositions précises à donner à cause de ma conviction pour les valeurs du libéralisme. Je laisserai plutôt aux forces du marché (l’initiative ou l’attentisme selon chacun) pour aboutir à un modèle qui s’imposera dans un cadre concurrentiel. En revanche, je sais exactement ce que je ne ferai pas :
- La perle de Tahiti doit rester un produit de luxe qu’il ne faut pas soumettre à une politique sociale.
- La puissance publique doit encourager l’excellence par une stratégie de « nivellement par le haut » et non de « nivellement par le bas », surtout dans le domaine du luxe.
- Le Pays doit cesser sa politique interventionniste qui a provoqué une concurrence déloyale entre les producteurs. Les conséquences sur le tissu économique sont considérables.
- On peut conduire une politique sociale dans la perliculture, mais il ne faut jamais « perturber » ou remettre en cause la « concurrence loyale » entre producteurs. Il a fallu que j’aille plaider devant la Cour administrative d’Appel pour rappeler le Pays à l’ordre en juillet 2011.
- Il faut laisser le marché s’opérer tout naturellement et travailler avec (et non pas contre) les opérateurs existants qui connaissent mieux les réseaux de commercialisation que les employés de la MDP et du futur TPC.
- Quant à l’idée que le perliculteur a juste à déposer ses perles au TPC qui lui achètera toute sa récolte au-dessus du prix du marché, « it is too good to be true » ! Cela pourrait marcher un instant, mais pas sur le long terme. Il y a longtemps que je ne crois plus au « Père Noël ». Je reste sceptique sur la capacité de ce secteur protégé à se « transformer en commerçant » pour concurrencer nos acheteurs du Japon et de Hong Kong.
Amélioration du contrôle à la source
Comme annoncé précédemment, la production perlière est maintenant dominée par une multitude de structures familiales principalement à cause de leur faible coût de main d’oeuvre. Il faudra donc beaucoup de courage politique pour renforcer les contrôles sur le terrain pour que celles-ci se mettent en règle.
Le Pays ne peut plus laisser perdurer cette espèce de « no man’s land » dans les Tuamotu où les « bons élèves » se font éliminer par les « mauvais élèves ». C’est la raison pour laquelle le secteur perlicole est maintenant confronté à la spirale infernale du nivellement par le bas :
- Baisse de la qualité
- Baisse des prix
- Baisse de la confiance des acheteurs
- Ecrémage des « bons élèves » par les « mauvais élèves » de la production
Equilibre entre la production et la demande
Bien évidemment, il faut réduire la production mais laissons le marché réguler pour qu’il retombe sur son point d’équilibre. Les acheteurs (du côté de la demande) ne sont pas la cause de la déconfiture de notre perle.
Puisqu’il y a une surproduction essentiellement de mauvaise qualité qui perdure depuis des années, c’est la loi du marché qui écrème actuellement en faisant baisser les prix. Malheureusement, ceux qui ont un prix de revient élevé pour faire de la qualité ont été happés par la spirale infernale de la baisse des prix. Les prix étant tellement bas que seules les fermes de structures familiales peuvent survivre.
Nous sommes (du côté de l’offre), donc la source du problème !
Oui, il faut réduire la production comme proposée. Toutefois, un certain nombre de mesures proposées par des « blogs » manquent de réalisme et nécessitent effectivement d’être affinées. J’en citerai quelques unes :
- Supprimer la catégorie D et la catégorie C pour les perles cerclées, augmenter règlementairement le diamètre des perles (à partir de 11 mm…). En faisant cela, il ne resterait au perliculteur pas grand-chose de perles à vendre (voir tableau de répartition). Il faut laisser la taille se réguler par le marché.
- Le Pays a défini la classification des perles par une loi du Pays. A ce jour, nous avons toujours un débat passionnel sur la vraie classification à retenir. Je pense que quel que soit le triage retenu, le dernier mot reviendra toujours à celui qui paye les perles, donc à l’acheteur.
Il faut donc trier comme l’acheteur le souhaite et pas comme la puissance publique l’impose.
Supprimer les intermédiaires ?
Un schéma idéal pour les producteurs serait bien sûr la vente directe aux bijoutiers du monde entier afin de réduire les intermédiaires. Beaucoup de producteurs ont tenté de monter leur propre réseau de commercialisation et ont eu des résultats divers. Je suis pour qu’on laisse l’initiative personnelle de chaque producteur pour développer sa propre stratégie commerciale. C’est l’essence même de la combinaison « prise de risque et appât du gain » qui a poussé chaque producteur à se lancer dans la perliculture.
Si une ferme familiale n’a pas l’envergure ni l’ambition d’attaquer le marché international, elle ne doit pas toujours faire appel au paternalisme du Pays pour concurrencer ceux qui se « débrouillent » mieux.
Voici vingt ans, les premières ventes aux enchères à Tahiti se sont bien passées car il n’y avait pas encore de surproduction. Mais à mesure que la demande n’arrivait plus à absorber la production, les ventes aux enchères se sont déplacées progressivement vers les deux principaux marchés : le Japon et Hong Kong.
Pour les petites fermes familiales, la vente aux enchères (si possible à Tahiti pour leur convenance) reste le meilleur moyen pour écouler leurs récoltes. Mais face à une surproduction les résultats mitigés de nombreuse ventes n’ont fait que refléter le marasme économique.
Cependant, nous commençons à ressentir une certaine pénurie de perles. Rappelons que notre industrie perlicole ne dépend pas d’un « système d’écloserie » pour assurer l’approvisionnement régulier en nacres à greffer, mais d’un « système de collectage » de naissains naturels avec des résultats très aléatoires selon les saisons.
Or, depuis la crise de 2008, peu de producteurs ont assuré un programme de collectage de naissains ; ce qui explique la pénurie actuelle de nacres. En sachant que si vous avez eu la chance d’avoir collecté des naissains, il faut attendre deux ans avant de pouvoir les greffer. A cela, il faut ajouter 18 à 24 mois en plus avant de pouvoir récolter des perles. Donc, en réalité, nous commençons à accuser la pénurie perlière à cause du faible collectage depuis 2008.
Malheureusement, même en relançant maintenant le collectage des naissains, la baisse de production perlière devrait persister dans les prochaines années. Ce qui laisse augurer une remontée des prix à moyen terme.
Conclusion
Une chose me frappe encore à ce jour. Pourquoi un dialogue de sourds perdure-t-il entre les acteurs (producteurs et acheteurs) de la perle et nos décideurs politiques ?
Depuis longtemps je suis arrivé à la triste conclusion que notre perle est face au sérieux paradoxe suivant : le politique a toujours voulu faire du social avec notre perle, un produit de luxe par excellence. C’est tout à son honneur d’avoir donné la priorité au social au travers d’une politique de redistribution de la richesse. Mais pourquoi faire du social « systématiquement » au détriment de ceux qui s’en sortent le mieux ? Oui, il faut aider les « petits » mais il faut surtout le faire sans pénaliser ceux qui arrivent à se débrouiller seuls en laissant la « concurrence loyale » s’opérer.
Est-ce parce que le politique n’apprécie guère ceux qui s’en sortent mieux que les autres ? Est-ce le phénomène de la
« république de l’envie » qui nous guette encore ? (voir mon article sur le Réchauffement climatique RC n°15/16 : La difficile combinaison « EnR-fiscalité-inégalités »).
Le territoire a marqué jusqu’à présent sa politique interventionniste avec une ardeur excessive dans la perliculture par les actions suivantes :
- Formation des perliculteurs dans la gestion d’une ferme perlière, dans la greffe et dans la récolte par la création d’une école à Rangiroa. Demandons au pouvoir public : combien de personnes formées dans cette école travaillent effectivement dans la perliculture aujourd’hui ? Le pourcentage doit être bas.
- Formation des perliculteurs à la plongée en bouteille par les stages de plongée professionnelle offerts par le SEFI. Combien des personnes qui ont été formées à la plongée professionnelle travaillent effectivement dans la perliculture aujourd’hui ? Le pourcentage doit être bas.
- Formation des perliculteurs pour les obliger à détenir une carte professionnelle de producteur d’huître perlière et de perle de culture de Tahiti. Même titulaire d’un MBA, j’ai dû suivre des cours de gestion dispensés par un agent du SEFI qui m’apprenait qu’il ne fallait pas confondre recettes et bénéfice ! Combien de personnes qui ont été formées pour détenir une carte professionnelle travaillent effectivement dans la perliculture aujourd’hui ? Le pourcentage doit être bas.
- Formation des acheteurs locaux de perles pour les obliger à détenir une carte professionnelle de négociant avec une caution obligatoire de 10 millions Fcfp. Dans un des cours, un jeune fonctionnaire m’apprenait à savoir trier la qualité des perles, alors que je vendais déjà, en plusieurs centaines de millions de francs, mes récoltes depuis plus de 15 ans. J’ai dû en brader par ignorance commerciale! Combien de personnes formées pour détenir une carte professionnelle de négociant travaillent effectivement dans la perliculture aujourd’hui ? Le pourcentage doit être bas.
- Accompagnement des perliculteurs en imposant l’arrêté n° 568 CM du 26 avril 2001 (modifié par l’arrêté n° 1149 du 20 août 2008) qui a obligé cinq embauches locales pour un greffeur étranger, avec dérogation flagrante pour les GIE. Après plusieurs années de contentieux, j’ai réussi à faire annuler ce dispositif par la Cour administrative d’Appel de Paris qui a perturbé la concurrence loyale entre producteurs.
- Création en 2009 de la Maison de la perle (MDP) pour montrer aux perliculteurs comment trier, classifier et valoriser leurs perles, en plus de la promotion. Selon les partisans de la MDP, l’idée était géniale : la MDP expertisait les lots de perles déposées par les perliculteurs qui recevaient un certificat attestant une valeur marchande. Avec cette attestation, les perliculteurs pouvaient mieux monnayer leurs perles auprès des acheteurs ou des bailleurs de fonds pour obtenir un crédit bancaire. A ce jour, on constate que ce système d’évaluation (version secteur protégé) est dénué de bon sens et contraire aux règles du business. Le dernier mot reviendra toujours à celui qui achète (souvent moins cher) le lot. Demandons à la MDP : sur les 25,98 millions de perles nues exportées entre 2010 et 2012, quelle est la quantité de perles qu’elle a réellement traitée avec ses services payants ? Le pourcentage doit être très bas.
- Barème de prix obsolètes de la MDP, permet d’évaluer une récolte entière déposée par un producteur. Lors de notre dernière vente aux enchères en novembre 2012, nous nous sommes aperçus que ce barème MDP était totalement surévalué. Or la MDP préférait maintenir son barème au motif que les prix offerts par les acheteurs internationaux venant à nos ventes ne représentent pas le « réel » cours du marché. « La MDP ne brade pas » (sic !).
Nationalisation ?
Face à ce bilan plutôt peu glorieux, il y a de quoi être dubitatif sur le nouveau projet de Tahiti Pearl Consortium (TPC). Je serai même tenté de dire qu’à cette allure-là, pour couronner la politique interventionniste du Pays, il n’y a qu’un pas pour lancer la « nationalisation » du secteur perlicole en rachetant toutes les fermes perlières.
A mon avis, ce serait l’option radicale pour faire aboutir la politique sociale voulue. Au moins là, le Pays serait rassuré d’avoir maîtrisé de bout en bout toute la filière perlicole en prenant en charge tous les perliculteurs. Le président Temaru a bien déclaré à la télévision qu’au travers du projet TPC, « les perliculteurs n’auront plus de souci à se faire ». Ils auront « juste à produire, déposer leurs perles à TPC et retourner produire dans les îles » (sic !).
Ainsi avec la nationalisation, tout le monde sera rassuré d’être sous le parapluie de l’intérêt général : il n’y aura plus de travail au noir puisque tout le monde sera payé et déclaré au SMIG à la CPS.
En revanche, j’aurai un grand point d’interrogation sur l’évolution de la productivité et de la qualité du travail dans ce contexte d’une économie communiste. En effet, ce modèle économique enlèvera l’élément essentiel au rouage de la liberté d’entreprendre : l’appât du gain qui constitue la carotte.
Autrement dit, si le Pays veut continuer à mener sa politique interventionniste dans un contexte libéral et ouvert à la mondialisation, je reste persuadé que la combinaison social/luxe sera très difficile à réaliser. Même au niveau du développement mondial pour une « bonne gouvernance » d’un pays, le FMI et la Banque Mondiale sont confrontés à l’éternel débat sur l’optimisation entre les contraintes du marché et une politique interventionniste.
Que le luxe puisse être une locomotive du développement insulaire, soit ; mais que le social soit un préalable au développement du luxe dans un contexte libéral et ouvert, alors il ne faut pas s’étonner de la situation actuelle.

Depuis plus de 20 ans (en reprenant le slogan de Bernard Poirine « Tahiti : Stratégie pour l’après-nucléaire » 1992, page 295) nous avons réussi à exporter, exporter et exporter notre perle de Tahiti, mais au point de l’avoir mise malheureusement au rang d’un « produit social ».
Pour cette raison principale, notre perle est maintenant vendue d’une manière banale au Marché de Papeete sur des stand de vente parmi les poissons et nos produits agricoles. Bien sûr qu’il faut aider les « petites » gens qui doivent aussi se débrouiller pour commercialiser leurs perles. Mais pas de cette manière en torpillant cette filière que l’on essaye de hisser au rang d’un produit de luxe.

J’ai moi-même constaté que les champs de « pakalolo » (cannabis) ont proliféré dans les Tuamotu. Basé sur le principe du « coût d’opportunité », le pakalolo doit rapporter plus pour moins de risque financier et pour un moindre effort que la perle. Lorsque le président Temaru a déclaré à la télé qu’il fallait étudier la possibilité de légaliser le pakalolo, un employé paumotu de ma ferme perlière m’a immédiatement interpellé en disant que c’était une connerie. Je lui avais demandé pourquoi, puisque ce serait légalisé ? Il m’a répondu « Mais boss, le prix du ”paka” va chuter; la production sera supérieure à la demande » ! Je suis tombé de ma chaise.
Donc même ces planteurs de « pakalolo » sans diplôme comprennent les rouages économiques de la rareté ! Heureusement, nos décideurs politiques « illuminés » commencent à se remettre en cause, hélas seulement après un prix de la perle divisé par 20 !

Postface à cet article écrit en 2013:
Les articles de Tahiti infos du 06/12/2021 titré « Perle : Tout reste à faire« et La CTC pointe « l’ampleur du travail dissimulé » dans la perliculture ont repris les thèmes abordés dans cet article de 2013. Malheureusement, tant qu’on adoptera la politique de l’autruche en éludant le paradoxe de vouloir faire du “social” avec un produit de luxe, ce secteur connaitra toujours ces mêmes difficultés.
A parahi
Gilbert WANE