LE PAYS, après avoir vécu en 2013 la terrible épidémie de zika et de dengue, s’apprête maintenant à entamer une autre rude épreuve avec l’arrivée du chikungunya, tout cela à cause du même moustique Aedes aegypti.
Tout d’abord un peu de vocabulaire :
Zoonose : Une maladie infectieuse transmise initialement d’un animal vertébré sauvage à l’homme, par un arthropode vecteur (moustique, nono, moucherons culicoides, phlébotomes, tiques) qui a auparavant prélevé le sang d’un animal infecté. Ensuite, la transmission de la maladie se fait entre personnes, selon le virus (arbovirus) en cause.
Arbovirose : Si c’est un virus impliqué dans l’infection, on parle alors « arbovirus ».
L’épidémie de chikungunya (zoonose) dans le pays est maintenant une triste réalité avec le niveau d’alerte de Lutte anti-vectorielle (LAV) qui est passé du niveau 1 au niveau 4 en seulement quatre jours : du vendredi 10 au mardi 14 courant.
Sa progression fulgurante et affolante dans tout le pays en dit long sur l’inefficacité de notre stratégie LAV que nous avons depuis toujours, face au moustique Aedes aegypti qui propage le virus du chikungunya comme une traînée de poudre dans notre population.
A cette occasion exceptionnelle, prenons un peu du recul et posons-nous la question simple suivante (excusez le niveau de langage familier qui risque de fâcher certains) : est-ce qu’on n’est pas à « côté de la plaque » dans notre lutte actuelle contre le moustique Aedes aegypti qui transmet le virus de la dengue, du zika et du chikungu-nya ?
Est-ce une stratégie suffisante de se doter d’un plan de réaction bien rodé à l’échelle du pays entre toutes les forces vives du Fenua :
- de se contenter de détruire les gîtes à moustiques;
- d’éviter de se faire piquer :
- en se mettant des répulsifs;
- en s’habillant en pantalon avec chemise à manches longues;
- en utilisant systématiquement une raquette électrique à moustique comme notre Ministre de la santé Howell l’a préconisé à la TV;
- de pulvériser à outrance de l’insecticide
L’histoire semble se répéter pour nous dire, une énième fois, que l’on est en train de « taper à côté » dans cette lutte contre le moustique Aedes aegypti. Tout simplement parce que le moustique trouvera toujours un gîte naturel dans notre végétation humide et luxuriante.
Donc le maintien du statu quo en n’optant pas pour une stratégie innovante, nous mène droit à l’échec de LAV. A moins de raser toute notre belle végétation autour de nous pour laisser place à un désert sans gîte à moustiques.
Maintenant, la situation critique impose effectivement la solution de dernier recours aux pulvérisations intensives de Deltaméthrine qui est une option catastrophique pour trois raisons principales :
- Le Deltaméthrine (peu importe la dose utilisée, un poison reste un poison) est très toxique pour la faune aquatique : nos rivières, nos nappes phréatiques, nos sources et nos lagons.
- Les « dommages collatéraux » sont dévastateurs sur l’écosystème et notamment sur les abeilles qui sont un maillon indispensable à la vie sur terre avec la pollinisation.
- La mutation génétique (gène GSTe2) permet au moustique de « ne pas mourir » au contact des pyréthrinoïdes tel le Deltaméthrine.
Même si nous arriverons à contenir la propagation du chikungunya ici ou là, grâce aux pulvérisations toxiques, polluantes et dévastatrices du Deltaméthrine, ce ne sera que partie remise. L’installation du chikungunya (et de toutes autres maladies vectorielles à venir en Polynésie française) restera une menace permanente tant que l’on n’aura pas neutralisé, voire éliminé ce vecteur : le moustique Aedes aegypti.
En conséquence, pour agir plus efficacement à long terme contre la dengue ou le chikungunya, il faut effectivement vite penser au remplacement des pulvérisations de Deltaméthrine par les stratégies innovantes de LAV : Oxitec et Wolbachia.
A ce sujet, les techniciens de la Direction de la santé ont passé le stade du « principe de précaution » en confirmant que ces deux procédés Oxitec et Wolbachia « ont atteint un niveau opérationnel qui permet d’envisager un contrôle plus efficace des maladies vectorielles… » (Voir procès-verbal réunion du 2-7-2014 du Centre d’hygiène et de salubrité publique CHSP).
Par ailleurs, suite au Conseil des Ministres du 30 juillet 2014 qui a décidé de retenir les stratégies innovantes de LAV (Oxitec et Wolbachia), la Direction de la santé a proposé la possibilité d’un projet pilote Oxitec car son procédé est déjà en déploiement commercial.
En revanche, le Wolbachia est toujours au stade de la recherche selon le porteur du procédé le professeur Scott O’Neill (lire article de décembre 2013, TPM n° 269). Mais faisons confiance à la Direction de la santé pour dire que le Wolbachia est aussi opérationnel.
Donc peu importe Oxitec et/ou Wolbachia le pays doit vite choisir en toute transparence, au travers d’une intense campagne de médiatisation, l’option la plus efficace pour un coût le plus compétitif possible afin de remplacer au plus vite les pulvérisations de Deltaméthrine. Cette option de remplacement se justifiera large-ment comparée aux centaines de millions Fcfp de dépenses récurrentes engendrées chaque année par toutes les maladies vectorielles (dengue, zika, chikungunya):
- en hospitalisation ;
- en honoraires de médecins ;
- en achats de médicaments ;
- en réduction d’approvisionnement en dons de sang ;
- en arrêts de travail et donc en perte de Produit intérieur brut (PIB) ;
- en coût d’opportunité pour notre système de santé (affectation de ressources limitées à un usage donné au détriment d’autres choix budgétaires stratégiques) ;
- en années de vie corrigées de l’incapacité (AVCI) avec les cas de syndrome de Guillain-Barré que l’on ne pourra peut-être jamais guérir ;
- en douleurs et vies humaines qui menacent les plus fragiles tels nos grands malades et nos vieux.
Il ne s’agit pas de dénigrer les services du pays qui luttent tant bien que mal contre le moustique et encore moins d’être défaitistes. Mais restons réalistes ! L’épidémie actuelle du chikungunya démontre une énième fois que la stratégie actuelle de LAV que nous appliquons depuis toujours, avec l’assistance de l’Etat, ne marche pas.
Tentons donc le procédé Oxitec et/ou Wolbachia pour essayer de gagner cette guerre contre le très coriace moustique Aedes aegypti qui continue à nous faire un pied de nez.
En dernier, face à la gravité de la situation qui était malheureusement prévisible depuis 2013, j’ai proposé au pays un partenariat à but non lucratif, si le choix d’Oxitec devait être retenu.
Postface au 21/08/2022 : Près de 10 après, la France est maintenant confrontée à ces mêmes maladies à transmissions vectorielles, selon l’article de Yannick Simonin Virologiste, maître de conférences en surveillance et étude des maladies émergentes, Université de Montpellier : « Virus « exotiques » en France : un sujet plus que jamais d’actualité » publié le 21 août 2022 dans The Conversation.
Rappelons que ces maladies transmises par les moustiques sont responsables de plus de 17% des maladies infectieuses, et provoquant plus d’un million de décès chaque année selon l’OMS du 02/03/2020.
Postface au 02/08/2022 :
Voir Conversation.fr : Virus « exotiques » en France : un sujet plus que jamais d’actualité