La situation de crise mentionnée dans le Tahiti Infos du 5/4/2018 ne nous surprend point puisque nous avions dénoncé cette sous-estimation des besoins depuis 2015. Les différentes versions des intervenants en dit long sur l’origine de cette situation ubuesque. Une EVASAN interinsulaire est normalement dans le sens des îles vers Papeete mais pas dans le sens inverse ! L’option d’évasaner vers la Nouvelle Calédonie nous surprend encore plus. Nous sommes donc tentés de croire que ce retour de bâton était prévisible pour ceux qui auraient « imprudemment » rompu la continuité des soins assurée par le duopole CHPF-APURAD.
Tout d’abord, rappelons que les patients sont traités selon quatre modalités de prise en charge par ordre décroissant de gravité de leur état de santé et donc de coût :
- en centre (CHPF);
- en Unité de Dialyse Médicalisée (UDM);
- en autodialyse;
- à domicile.
Quand un nouveau patient commence son traitement, il entre normalement soit en centre soit en UDM selon la gravité de son cas qui nécessite l’assistance d’un néphrologue et d’infirmiers.
Lorsque son état de santé est stable et que son degré d’autonomie le permet, il peut descendre soit en autodialyse soit en dialyse à domicile.
Inversement, un patient en autodialyse ou un dialysé à domicile (s’il n’a pas bénéficié d’une greffe rénale entre temps) peut retourner en UDM ou en centre si son état de santé l’exige. Mais en général à mesure que l’on prend de l’âge, notre état de santé se fragilise. D’où une tendance naturelle des dialysés âgés à revenir vers une UDM, voire vers le centre.
Voici nos observations concernant cette situation de crise :
- Un cadre juridique restrictif entre les modalités de prise en charge : Des textes spécifiques régissent les quatre modalités de prise en charge ci-dessus. Donc un établissement d’autodialyse comme celui de Raiatea ne peut pas être assimilé à une UDM. En effet, le juge administratif nous avait refusé l’UDM pour l’absence du néphrologue sur place alors que parallèlement la Direction de la santé autorisait illégalement l’UDM de l’APURAD qui était opérationnelle depuis des années sur Raiatea sans la présence d’un néphrologue (voir l’arrêté n° 4766 MSR du 8/6/2015 maintenant annulé). Une dérogation est maintenant suggérée pour que l’autodialyse de Raiatea (qui aurait des postes en sous-capacité d’utilisation) puisse à nouveau recevoir des patients en UDM. Ce qui est contestable juridiquement car toutes nouvelles autorisations destinées à répondre à des augmentations de besoin doivent en principe passer par un appel à projet comme le dispose le SOS 2016-2021 dans son axe 3 .1.
- Une erreur manifeste d’appréciation des besoins en UDM de la carte sanitaire : Nous n’avions de cesse de dénoncer que les besoins ont été sous-estimés. A partir de l’étude 2014 du cabinet CALIA, 100 nouveaux cas (normalement entrant en centre ou en UDM) ont été budgétés dans le SOS 2016-2021. Par ailleurs, 72 patients existants devaient en plus être déjà pris en charge en UDM à cause de la quatrième série hors norme au CHPF. Malgré cela, la Carte sanitaire est venue restreindre à 84 nouveaux patients en UDM (14 postes UDM en demande recevable X 6 patients/semaine/poste). Or, selon Tahiti Infos du 4-5-2017, à fin 2016, on observait déjà 50 nouveaux cas par an. Sur la seule base de ces augmentations annuelles de 2015 à 2018, on aurait déjà accumulé 111 à 158 nouveaux cas ( voir tableau de simulation ci-dessous) contre les 84 autorisés par la carte sanitaire. Donc les UDM autorisées ( celle d’ISIS comprise) devraient être prématurément saturées, alors que nous sommes à peine à mi-parcours de la période du SOS !
- Un manque de transparence dans la définition des besoins : Un conflit d’intérêt existait pour le candidat cumulant le poste de Chef de service de la néphrologie-hémodialyse du CHPF et la présidence de l ‘APURAD. En effet, il nous a paru anormal de devoir déposer des dossiers d’offre sans connaître les vrais besoins répartis par commune, alors que le détenteur de cette « double casquette » avait le privilège de les connaître, en étant le seul en activité parmi tous les candidats. Donc ce duopole CHPF-APURAD, visé par cette ouverture à la concurrence, connaissait mieux les réels besoins que quiconque. Il était certainement le mieux placé pour prévoir ce déferlement annoncé de nouveaux cas en UDM.
- Une « sous-déclaration » des chiffres officiels : Nous avions dénoncé une asymétrie d’information depuis 2015 : voir notre lettre du 1/12/2015 adressée à la Direction de la santé et celle du 17/5/2016 adressée au Ministre de la Santé HOWELL. Ce manque de transparence a été confirmé par la fameuse étude épidémiologique REIN 2015 à la page 373 disponible sur internet « noté A par le Comité d’évaluation des Registres pour la période 2015-2019 », pour lequel justement le CHPF et l’APURAD contribuaient depuis 2011 (voir aux pages 20 & 25). Il est mentionné à sa page 373 que « Les chiffres de la Polynésie française ne sont pas exploitables, car il existe une sous-déclaration des cas du centre lourd (CHPF)« . Il est de notoriété publique que l’activité dialyse en intramuros du CHPF inclut également celle de l’APURAD. Donc cette sous-déclaration pouvant fausser les vrais besoins, avec curieusement la passivité des pouvoirs publics, ne nous étonne point.
- Des besoins non définis par zone géographique : Les besoins par modalités de prise en charge n’ont pas été exprimés par commune dans la nouvelle Carte Sanitaire. D’où l’obligation d’évasaner maintenant les patients de Papeete vers Raïatea ! Pourtant, le nouveau SOS avait posé comme un de ses principes fondateurs « la priorité du renforcement de l’équité territoriale« . On pouvait donc en déduire que les offres UDM devaient se rapprocher le plus possible des domiciles des dialysés. Mais encore faut-il connaître les véritables besoins par commune. Dans son mail daté du 7/6/2017 la Dr Marion ARBES chargée de suivre cet appel à projet nous écrivait dans les termes suivants: « S’agissant des besoins en dialyse, je vous confirme que l’instruction des dossiers tendra vers un objectif de répartition aussi harmonieuse que possible de l’offre au plus près des besoins de la population de PF et sera donc attentive au positionnement géographique proposés par les porteurs de dossiers« . N’ayant eu que la Note de synthèse du 6/10/2015 de la Direction de la santé comme seule base de travail, nous avions donc déposé nos offres pour Faa’ a et la Presqu’île comme le recommandait ce document officiel. Or, les résultats de l’appel à projet ont démontré des besoins ailleurs…
En dernier, face au risque des besoins encore mal définis, nous avions proposé le prix préconisé par le SOS à 30 000 Fcfp/séance pour traiter 300 patients au lieu des 84 patients autorisés par la carte sanitaire. Cette proposition sous la forme d’un reversement d’un « trop encaissé » à la CPS offrait une économie potentielle de 475 millions de F cfp ( voir notre lettre au président FRITCH datée du 27/11/2017).
Rappelons les termes exacts du Schéma d’Organisation Sanitaire (SOS) 2016-2021 : « Capacité à prendre en charge 100 personnes. Coût nouveau annuel maximal : 468 M Fcfp (30 K * 3* 52* 100) à raison de 3 séances par poste. »
Malgré cela, l’offre du concurrent ISIS a été retenue à 35 000flséance pour traiter les 84 patients UDM autorisés.
La nôtre a été écartée principalement sur le considérant[ … ] que l’offre présentée par Tahiti Nephro ne pouvait être viable indépendamment de l’ensemble de ses autres offres« .
Ce qui contredit la Note de synthèse du 6/10/2015 de la Direction de la santé qui avait fixé les besoins sur Faa’a et sur la Presqu’île, nous obligeant ainsi à répartir le quota autorisé de 14 postes entre ces deux sites.
Notre offre maintenant écartée, la CPS devrait au moins imposer unilatéralement le prix le plus bas de 30 000 Fcfp/ séance UDM à tous les opérateurs retenus que sont APURAD et ISIS.