Le tribunal administratif de Papeete vient d’annuler, le 28 avril 2017, tous les arrêtés d’autorisation des projets de centres de dialyse, pour procédure illégale (absence de carte sanitaire). De plus, tous les centres de dialyses existants de l’Associaton polynésienne pour l’utilisation du rein artificiel à domicile (Apurad) à Mahina, Paofai, Paea, Papara, Moorea, Raïatea, qui fonctionnaient sans autorisation depuis le début de leur activité ont aussi été jugés illégaux.
Pour éviter une rupture du traitement des dialysés, le tribunal leur a laissé un répit jusqu’au 1er décembre 2017, un laps de temps qui leur laisse espérer être retenus dans le prochain appel à projets.
Rapidement, voici comment on en est arrivé là.
Le Pays annonce l’appel à projets dans sa lettre du 19 janvier 2015. Dans un arrêté n°1797 MLV du 25 février, il affecte en « catimini » une partie de la Rotonde au profit du CHPF (l’affectataire) qui, « par ricochet », l’a mise en juillet 2015 à la disposition de l’Apurad représentée par le chef de service de néphrologie-hémodialyse du CHPF.
Le 17 août 2015, l’appel à projets est bien lancé par l’arrêté n°526 PR avec dépôt des dossiers entre octobre et novembre 2015 alors même que le nouveau Schéma d’organisation sanitaire (SOS) n’est pas encore voté à l’APF (il ne sera adopté qu’en février 2016).
Le 6 octobre 2015, une note de synthèse du Département planification et organisation des soins (DPOS) fixe le besoin de positionner idéalement une UDM-UAD sur Faa’a et sur la Presqu’île. Seul un candidat a fait une offre pour Faa’a et pour la Presqu’île.

Le ministre dans l’annonce de sa décision finale se mélange les pinceaux et remplace illico presto ses arrêtés du 24 mai 2016 par les arrêtés du 8 juin 2016. Dans ces nouveaux arrêtés quasi-identiques aux précédents, il reconduit systématique tous les centres illégaux de l’Apurad, et accorde des autorisations pour une UDM (Unité de dialyse médicalisée) sur Paofai et une autre sur Pirae, et de manière résiduelle une UAD (Unité d’autodialyse) sur Faa’a et sur Taravao au seul candidat qui a suivi la note de synthèse.
Est édifiante l’autorisation de l’Apurad à la Rotonde via l’arrêté n°4 770 MSR du 8 juin 2016 qui est suivie le 12-08-2016 d’un permis de construire n° 16-0157 /5. Soit deux mois seulement pour concevoir le projet, le déposer au Service de l’Urbanisme et obtenir le PC. C’est que ce dossier devait déjà être autorisé depuis longtemps.

Ci-dessus une photo de ce méga-chantier, maintenant à l’abandon, qui montre que le promoteur aurait anticipé cette sanction du juge administratif; l’évacuation urgente de la Rotonde pour vice de construction a dû précipiter les choses.
Toujours est-il que ce projet a maintenant un PC qui n’a plus d’autorisation pour ouvrir une UDM. Les représentants de l’association APURAD n’ont rien à craindre puisque c’est l’argent des cotisants de la CPS qui est en jeu. Mais ils devraient tout de même mieux méditer ce projet qui risque de ne jamais aboutir vu les faits ci-dessus sérieusement contestables.
Avec tous les arrêtés annulés, c’est donc trois années de perdues (2015 pour avoir préparé les dossiers et 2016-2017 pour la procédure). Nos dialysés devront attendre encore deux années supplémentaires au minimum (2018-2019) pour que la nouvelle procédure d’appel à projets puisse aboutir, expurgée de possibles contentieux. Donc cinq années en tout de perdues.
Bien que la note de synthèse du 6 octobre 2015 ait fixé le besoin de positionner idéalement une UDM-UAD sur Faa’a et sur la Presqu’île, elle n’a aucune valeur juridique selon le juge administratif. Ce n’est que partie remise pour le prochain appel à projets avec de possibles anguilles sous roche vu la procédure contestable que l’on vient de connaître.
Ci-dessous les questions en suspens lorsque la mise à jour de la Carte sanitaire interviendra :
Quid des besoins prioritaires définis dans la note de synthèse du 6 octobre ? Faut-il s’attendre qu’entre-temps les besoins aient basculé subitement sur les zones de Papeete et de Pirae pour satisfaire certains candidats ?
L’Apurad et les deux cliniques privées auront certainement encore l’objectif de présenter leur offre qui sera intégrée dans leur schéma d’installations existantes :
- Apurad au sein de la Rotonde et de ses installations existantes
- Diapol au sein de la Polyclinique de Paofai
- Polydial au sein de la future clinique de Punaauia dont la zone de constructibilité vient d’être annulée par le tribunal administratif.
Quel dommage si l’objectif n’était pas de se rapprocher le plus possible d’un maximum de domiciles des dialysés dans les zones péri-urbaines de Faa’a et de Taravao, comme l’avait préconisé la note de synthèse. Faut-il en déduire que le confort des producteurs de soins existants prime sur celui du confort des dialysés ? En tous les cas, toutes les autorisations d’UDM qui viennent d’être annulées ont été concentrées sur Papeete et sur Pirae sans tenir compte des « déserts médicaux » comme Faa’a et la Presqu’île.
Quid des centres de dialyse existants de l’Apurad jugés illégaux ? La remise à plat de la Carte sanitaire implique que l’on ne doit pas présupposer la reconduction systématique des installations existantes de l’Apurad comme il a été fait dans la procédure précédente. Sinon on aurait un traitement de faveur pour un candidat. Le choix des emplacements existants de l’Apurad n’engage que cette dernière. Il est regrettable qu’il y ait une concentration des installations de l’Apurad sur Paea et Papara alors que les besoins sont sur Faa’a et la Presqu’île. Preuve que la répartition des installations existantes n’est pas optimisée.
Donc on doit d’abord établir la répai1ition actuelle de tous les domiciles des dialysés avec leur type de traitement respectif (en Centre, UDM, UAD, Dialyse péritonéale, dialyse à domicile). Malheureusement, une « asymétrie » d’information perdure puisque seul le duopole Apurad-CHPF détient ces données.
Ensuite, anticiper les besoins futurs et arrêter ainsi les zones géographiques prioritaires pour une l’implantation d’une UDM-UAD. À ce sujet, accorder seulement une UAD pour une certaine zone est un non-sens économique car elle s’oppose à une meilleure performance économique de notre système de santé.
Quid du besoin supplémentaire largement sous-estimé par le cabinet Calia de cent patients à traiter pour la période 2016-2021? Il est de notoriété publique que nous avons au moins 50 nouveaux cas d’IRCT par an : d’où 50 x 5 ans 250 nouveaux cas.
De plus, lorsqu’on démarre avec 418 patients en 2014 (source : note de synthèse du 6 octobre) pour le faire progresser annuellement à 8,8% (source: communiqué de la CPS du 18 avril 2013 pour 2005 à 2011) jusqu’en 2021 tout en déduisant une moyenne de 18 greffes rénales par an (source Dépêche de Tahiti du 8 avril 2016 : 43 greffes réalisées d’octobre 2013 à mars 2016), le chiffre de 100 patients supplémentaires est vite dépassé
- 418 x (1+8,8%)7 ans = 754 ; soit 754 – 418 = 336;
- à cela il faut :
- déduire la greffe rénale de 126 ( 18 x 7 ans);
- rajouter les 72 qui sont traités hors normes actuellement avec une quatrième série; soit (336 – 126 + 72) = 282 patients supplémentaires pour 2021 et 331 pour 2022 si le nouvel appel à projets redémarrait en 2017;
- déduire le nombre en dialyse péritonéale, qui nous est inconnu, du total estimé de personnes à dialyser. Il faut espérer que la moyenne de greffes rénales dépassera les 18 par an, mais encore faut-il pouvoir appréhender la concordance entre les patients en attente urgente d’une greffe (nombre estimé à 150) et les donneurs potentiels qui sont malheureusement aléatoires.
Par ailleurs, notre taux d’obésité (près de 40% qui nous met mondialement dans le peloton de tête) impliquera plus de cas diabétiques et augmentera considérablement les 8,8% par an.
Rappelons que selon l’ancien ministre de la Santé, la majeure partie des dépenses dans la dialyse est « noyée » dans les 21,2 milliards de Fcfp (2017) de la Dotation globale de financement (DGF) du CHPF. Il est donc dommage, pour la transparence des deniers publics et des candidats à l’appel à projets, d’éluder le sujet qui explique comment sont calculés en interne les milliards de francs pour le coût de ces quelque 26 000 séances/an.
En dernier, il faut savoir qu’une solution d’hémodialyse en centre pour concurrencer le CHPF, a été proposée (avec notre partenaire B Braun Avitum) aux autorités pour un tarif défiant toute concurrence et impliquant des milliards de francs d’économie potentielle.
Mais vu les intérêts financiers énormes du CHPF en jeu, on peut comprendre la « frilosité » de nos décideurs politiques.
Postface : Tahiti-infos du 01/03/2022 : Ces travaux « à perte » pour l’Apurad.
Cet article confirme de « la friture sur la ligne » entre l’APURAD et le Pays. En effet, le juge administratif vient de débouter l’APURAD qui demandait la prise en charge des 256 millions xpf de pertes en travaux engagés sur la Rotonde.
Le motif : l’association Apair Apurad était autorisée « sans contrat » et donc dans la précipitation de l’appel à projet de l’époque en 2015, à occuper le bâtiment Centre 15 du CHPF, charge à elle de réaliser les travaux d’aménagement des locaux.