Qu’attend-on pour lutter contre les moustiques responsables ?
En décembre 2013, Tahiti-Pacifique (n°269) avait publié un article décrivant une nouvelle méthode pour éradiquer ces maladies : “vacciner” les moustiques en utilisant une bactérie, la Wolbachia, pour bloquer la transmission par les moustiques du virus de la dengue. Ce mois-ci, M. Wane nous expose une autre méthode pour contrer ces terribles maladies.
La Polynésie française vient de vivre en 2013-2014 de sévères épidémies avec plus de 30 000 cas de zika et plus de 29 000 cas de dengue. Chaque année, nous payons un lourd tribut dans nos dépenses de santé :
- en hospitalisations ;
- en honoraires de médecins : 60 000 consultations à 3600 Fcfp = 216 millions de Fcfp ;
- en achats de médicaments ;
- en arrêts de travail et donc en perte de Produit intérieur brut (PIB) ;
- en coût d’opportunité pour notre système de santé (affectation de ressources limitées à un usage donné au détriment d’autres choix budgétaires stratégiques);
- en années de vie corrigées de l’incapacité (AVCI) avec les cas de syndrome de Guillain-Barré que l’on
ne pourra peut-être jamais guérir ; - en vies humaines comme le bébé mort de la dengue, en novembre 2013.
Maintenant, le scénario catastrophe du chikungunya pointe son nez avec une progression alarmante de l’épidémie aux Antilles françaises (90 000 cas) et chez nos voisins du Pacifique.
Malheureusement, année après année, ce risque sanitaire reste une épée de Damoclès tant que l’on n’aura pas maîtrisé les deux espèces de moustique responsables de TOUTES ces épidémies :
- principalement l’Aedes aegypti qui vit en zone urbaine et résidentielle car inféodé à l’homme (qui suit l’homme);
- et, dans une moindre mesure, l’Aedes polynesiensis qui vit en zone rurale et qui représente également le vecteur principal de la filariose lymphatique ou éléphantiasis (pour une mise à jour, voir l’article de TahitiInfos du 7 février 2023) ; une endémie qui perdure avec une personne infectée sur 10, malgré les campagnes annuelles de Notézine coûtant plus de 21 millions Fcfp (1). Selon une note de la Direction de la santé en 2008 « L’objectif d’élimination de cette maladie en tant que problème de santé publique tel que préconisé par l’OMS n’a pas été atteint après huit années de stratégie PacELF » ou pro-gramme régional d’élimination de la filariose.

Terribles moustiques
Donc le moustique, sans que le commun des mortels ne s’en rende compte, est non seulement une calamité publique qui tue 725 000 personnes au monde par an selon le blog de Bill Gates (1 million selon Wikipédia accédé le 23/11/20; voir une mise à jour dans l’article du 17/11/2022 : « Lutte contre les moustiques : améliorer l’efficacité des insecticides tout en réduisant leurs doses« ), mais représente également un « acteur économique » qui coûte très cher à notre système de santé.

Il existe une quinzaine d’espèces de moustiques (dont 13 piqueurs) en Polynésie française, recensées par l’Institut Louis Malardé-ILM. Pour assurer leur reproduction, les femelles (et non les mâles) moustiques ont besoin de piquer les animaux dont l’homme pour se nourrir de sang (en plus du sucre).
Ces épidémies à transmissions vectorielles resteront une menace permanente tant que les frontières du pays seront ouvertes au trafic mondial où plus de 38 millions de vols commerciaux par an transportent plus de 4 milliards de voyageurs dans le monde. Ces statistiques mondiales jouent malheureusement contre l’intégrité de notre sécurité sanitaire, si nous voulons maintenir notre pays ouvert à l’économie mondiale.
De par mes études en santé publique à la London School of Hygiene & Tropical Medicine (LSHTM), j’ai eu le privilège de présenter aux groupes de travail de lutte antivectorielle (LAV) organisés par le Centre d’Hygiène et de Salubrité Publique (CHSP), le procédé Release of Insects carrying a Dominant Lethal (RIDL) de la société Oxitec, leader mondial en biotechnologie du moustique. Cette technique innovante est également appliquée avec succès à la mouche des fruits.
Je ne suis ni médecin et encore moins spécialiste en insecte (entomologiste), mais avec l’appui scientifique d’Oxitec (j’accepte donc d’être taxé de parti pris), je souhaite partager ma vision d’une stratégie innovante de LAV vu l’enjeu crucial sur le développement de notre tourisme et sur la « bonne santé économique » de notre système de santé. Dans ce présent article qui n’engage que moi, j’essaierai d’apporter un peu de « bon sens » dans cette guerre contre le moustique.
D’ailleurs juste pour mieux cadrer ce sujet des OGM qui fâche, j’ai rajouté au 23/11/2020 cet extrait du site web Sauvons Nos Palmiers (SNP) OXITEC : DES MILLIONS DE MOUSTIQUES GÉNÉTIQUEMENT MODIFIÉS LÂCHÉS EN FLORIDE 21/8/2020 :

Oui effectivement, selon Wikipédia accédé le 23/11/20 : « La vaccination par ADN (dont celle contre la Covid-19 de l’Institut Pasteur) est une technique de protection contre les maladies par injection d’ADN génétiquement modifié. L’ADN injecté entraîne chez les cellules visées une réponse immunologique protectrice par la production d’un antigène. Les vaccins à ADN présentent des avantages potentiels par rapport aux vaccins classiques, y compris la capacité à induire une plus large gamme de types de réponses immunitaires. »
Comme d’ailleurs pour la production de l’insuline (traitement des diabétiques) et de l’EPO (traitement des dialysés) qui sont produits par la technologie de l’ADN recombinant! Voici un extrait de Wikipédia accédé le 23/11/20 :
« L’acide désoxyribonucléique recombinant (ADN recombinant ou ADN recombiné) est une molécule d’acide désoxyribonucléique créée en laboratoire composée de séquences nucléotidiques provenant de plusieurs sources créant ainsi des séquences qui n’existent pas dans les organismes vivants (donc OGM!). La technologie recombinante (OGM) est maintenant largement utilisée dans des projets de recherches ou de développement. On l’utilise principalement pour la production de protéines thérapeutiques (tels que l’EPO ou l’insuline).«
Donc dénonçons cette psychose infondée des militants anti-OGM. Malheureusement il y a trop peu « d’honnêtes » scientifiques pour avouer publiquement que la médecine dans le monde entier utilise déjà quotidiennement des produits génétiquement modifiés (OGM) pour sauver des millions de vies humaines. Les anti-OGM à tout-va causent donc sans le vouloir un sérieux tort au progrès scientifique.
Le soutien de la France ?
Tout d’abord, je saisis cette opportunité pour rappeler une anomalie constitutionnelle qui perdure au sein de notre République.
En effet selon le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 toujours en vigueur, l’Etat garantit à tous la protection de la santé (paragraphe 11) : « … Elle (la Nation) garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »
Or, le Pays, compétent dans le domaine de la santé selon la loi organique statutaire de 2004, continue malheureusement tant bien que mal à financer nos dépenses de santé. A ce sujet, la Cour des comptes dans son rapport du 12 juin 2014, a épinglé l’Etat dans les termes suivants concernant le système de santé en outre-mer français :
« … Si les collectivités d’outre-mer ont un statut qui, aux termes de l’article 74 de la Constitution, « tient compte des intérêts propres de chacune d’elles au sein de la République », la République est UNE. Quelles que puissent être les organisations politiques et administratives, il appartient en dernier ressort à l’État d’en être l’ultime garant et de veiller à ce que soit assurée l’égalité de chacun dans le domaine de la santé… »
Donc l’Etat qui a été sollicité récemment par la Polynésie, a proposé son assistance technique qui n’est pas forcément gratuite pour mettre en place les mesures classiques de LAV que nous pratiquons déjà :
- éviter les piqûres de moustiques ;
- détruire les gîtes larvaires ;
- et en cas de début d’épidémie, intensifier les pulvérisations à l’insecticide tout en actionnant un plan d’intervention coordonnée à l’échelle du pays.
Toutefois, nous savons tous que cette approche classique est largement insuffisante pour gagner à long terme cette guerre contre le moustique Aedes aegypti qui prolifère après chaque période de pluies. Même avec toutes les bonnes volontés des acteurs de la LAV pour une meilleure vigilance permanente, on pourra difficilement détruire suffisamment de gîtes larvaires en profusion dans notre végétation luxuriante et humide.
A ce sujet, je tiens à saluer le travail remarquable des groupes de travail dans la LAV organisés sous la houlette du CHSP et du ministère de la santé qui doit faire des choix difficiles. Essayer de coordonner en permanence les actions de LAV de tout le monde (services du pays, de l’Etat, des communes, et de la société civile en général) relève tout simplement d’une tâche titanesque.
Désastreuse pulvérisation
Par ailleurs, la pulvérisation à l’insecticide, bien que recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme recours urgent et ponctuel, a prouvé son inefficacité à long terme pour deux raisons principales :
- ses « dommages collatéraux » dévastateurs sur l’écosystème et notamment sur les abeilles qui sont un maillon indispensable à la vie sur terre avec la pollinisation ;
- la mutation génétique (gène GSTe2) qui permet au moustique de « ne pas mourir » au contact des pyréthrinoïdes (Deltaméthrine) ;

Malheureusement, après des pulvérisations intensives au Malathion et au Deltaméthrine, nous avons toujours autant de moustiques qu’avant autour de nous !
Fort heureusement, il existe la nouvelle solution préventive RIDL d’Oxitec applicable à l’espèce Aedes aegypti.

Elle permet de « piéger » le moustique lors de sa reproduction grâce à un procédé d’ingénierie génétique révolutionnaire qui utilise une substance protéique non-toxique au lieu d’une substance toxique (exemple le Deltaméthrine) pour « casser » le cycle de reproduction de l’Aedes aegypti.
Cette percée scientifique adaptée de la très reconnue Technique de l’insecte stérile (TIS) produit des moustiques mâles de la souche OX513A (génétiquement modifiés) dotés d’un gène fatal qui est transmis à leurs descendances lors de l’accouplement avec les femelles sauvages. Ce matériel génétique passé à la descendance provoque une mortalité au stade larvaire par la sur-production d’une protéine non toxique qui disparaît avec l’extinction du moustique.
Voici un extrait du site web Sauvons Nos palmiers (SNP) au 23/11/20 :
Mâles stériles
L’approche requiert donc la production en masse et le lâcher de « moustiques Oxitec mâles adultes » pour qu’ils s’accouplent avec les femelles sauvages dont la descendance mourra avant le stade adulte causant une chute rapide de la population. La répétition des lâchers va réduire la population à des niveaux de plus en plus bas et potentiellement mener à l’élimination. Les moustiques mâles qui sont les seuls moustiques lâchés durant le programme, ne sont pas capables de piquer et de transmettre des virus.

Le projet repose donc sur une technologie de pointe respectueuse de l’environnement, n’utilisant pas d’insecticides où seule l’espèce ciblée est affectée. Etant donné que les moustiques Oxitec ne s’établissent pas dans l’environnement (contrairement aux moustiques infectés au Wolbachia), le projet peut être stoppé ou renversé à tout moment par l’arrêt des lâchers.
Des études de terrain ont prouvé l’efficacité de la technologie en réduisant des populations d’Aedes aegypti de près de 99% au Brésil et aux Iles Caïmans. Les deux études réalisées aux Iles Caïmans ont été publiées dans Nature Biotechnology en 2011 et 2012. La publication des études menées au Brésil est en cours et devrait être effective rapidement. Ces études ont démontré la capacité de la technologie à être utilisée avec succès à grande échelle. Un programme opérationnel pour une ville de 50 000 habitants est en cours au Brésil et un nouveau projet a débuté au Panama en avril 2014.
La France avec seulement quelques dizaines de cas de dengue et de chikungunya, aurait eu certainement une stratégie LAV plus ambitieuse si elle avait eu aussi comme à la Réunion en 2005-2006, 38% de prévalence de chikungunya causant 250 décès. Soit 38% de la population de la France (64 millions) aurait donné 24 millions de cas hypothétiques de chikungu-nya !
Mais, selon Jean de Kervasdoué la France s’est exclue de la compétition mondiale sur les biotechnologies en interdisant la culture d’organismes génétiquement modifiés (OGM) sur la base du « principe de précaution » inscrit dans le bloc de constitutionnalité via la Charte de l’environnement de 2004 qui dispose à son article 5 :

Or, le procédé RIDL ne concerne pas une culture mais vise le moustique, l’animal le plus dangereux au monde qui tue 725 000 personnes chaque année (voir supra). Le débat sur le « risque zéro » perdurera car l’incertitude scientifique demeurera toujours.
A titre d’information pour les participants au groupe de travail LAV, l’Académie pontificale des sciences soutient les OGM car ce qui importe c’est de garantir un très haut niveau de sécurité, comme ce procédé RIDL qui a nécessité douze ans de recherche démarrée dans les laboratoires de l’Université d’Oxford, coactionnaire d’Oxitec.
Adopté mondialement
Étant maintenant éprouvé sans danger pour l’environnement et les populations humaines et animales, il a été autorisé pour un déploiement commercial par les autorités sanitaires de biosécurité du Brésil (CTNBio – Moscamed) et du Panama (National Biosafety Committee – Gorgas Memorial Institute). D’autres pays comme les Etats-Unis (CNN 9 juillet 2014), l’Inde et certains pays européens sont actuellement en phase de négociation pour l’introduire chez eux. L’état de Floride a autorisé en août 2020, non sans débat public houleux, des lâchers de moustiques OGM Oxitec.
Bien évidemment, la biotechnologie appliquée dans le domaine de la santé publique a son lot de détracteurs dont le mouvement anti-OGM GeneWatch. Je ne m’attarderai pas à ce débat anti-OGM au risque d’être contre-productif sur les progrès de la science qui répondent au défi de réduire la famine dans le monde. Les anti-OGM qui mangent à leur faim chaque jour, auront du mal à convaincre les affamés du bien-fondé du « principe de précaution » car ces derniers ne demandent qu’à pouvoir manger comme nous pour essayer de survivre.

Par ailleurs, je tiens à préciser que le procédé RIDL est l’œuvre du Dr Luc Alphey un scientifique d’Oxford University, qui a été nommé « Innovator of the Year 2014 » par BBSRC. Il fait partie de ce groupe très sélect de chercheurs britanniques qui s’attaquent maintenant à la modification génétique des moustiques vecteurs du paludisme. Voici leur nouvelle piste de LAV selon un article du Guardian daté du 10 juin 2014 :
« The new technique by a team at Imperial College London involves inject-ing mosquitoes with a gene that causes the vast majority of their offspring to be male, leading to an eventual dramatic decline in population within six genera-tions as females disappear. »
Autres options
Par contre, concernant notre politique de LAV, si nous ne voulons plus nous contenter des mesures classiques tout en refusant l’a priori négatif des anti-OGM, alors le procédé RIDL est à évaluer en comparaison de trois autres options :
- Option 1 : le traitement inefficace au Deltaméthrine à cause du gène GSTe2 qui permet au moustique de résister au contact des pyréthrinoïdes (Deltaméthrine). A ce sujet, le Malathion et le Deltaméthrine sont une source sérieuse de pollution de l’eau comme le souligne Open University qui les a classés comme « chemical pollutants ». Le professeur Paul Reiter, une sommité mondiale en entomologie de l’Institut Pasteur, dit ceci des pulvérisations à l’insecticide : « In the event of outbreaks, most governments resort to “fogging”, the indiscriminate application of aerosols of poisonous insecticides like malathion sprayed from road vehicles or aircraft. These have very little impact on the target insect (mainly because it rests indoors) but can be destructive of non-target organisms… »
- Option 2 : le prochain vaccin tétravalent de la dengue (Sanofi) donnerait actuellement 56% d’efficacité selon les deniers tests de Sanofi en Asie. La problématique est simple à poser. Dans cette lutte antivectorielle (LAV), éliminer uniquement le vecteur devrait être nettement plus facile et moins coûteux que de développer un vaccin différent pour traiter chaque type de maladie « négligée » transmise par le moustique tels :
- la dengue;
- le zika;
- le chikungunya;
- la filariose lymphatique;
- le paludisme;
- la fièvre jaune;
- le West Nile virus:
- et toutes les autres maladies inconnues à venir qui seront transmises par le moustique.
- Option 3 : la solution Wolbachia [développée par la fondation Bill Gates et testée en Australie et au Viêtnam] qui est une bactérie intracellulaire que l’on introduit pour infecter le moustique afin d’arrêter la transmission du virus de la dengue. Elle est toujours au stade de la recherche selon le porteur de ce projet, le Professeur Scott O’Neill de l’Université de Monash (voir ABC Radio Australia interview du 16-09-2013).
Ci-dessous un comparatif des deux procédés qui, pour le cas de la Polynésie française, sont complémentaires pour notre plan de LAV :
- Le RIDL d’Oxitec conçu pour éliminer l’Aedes aegypti ;
- Le Wolbachia conçu pour neutraliser la transmission du virus de la dengue et expérimenté avec succès par l’Institut Louis Malardé (ILM) sur l’espèce Aedes polynesiensis (voir l’arrêté CM n°1392 du 17 octobre 2007).

Si le procédé Wolbachia est de nature biologique, il n’empêche qu’il introduit près de 1 900 nouveaux gènes avec un mécanisme d’action incertain comparé à l’approche OGM d’Oxitec où seuls deux gènes avec un mécanisme entièrement caractérisé sont introduits.
En tout état de cause, lorsque ce procédé sera opérationnel, les moustiques infectés au Wolbachia continueront à nous piquer (nuisance qui perdurera pour nos populations et nos touristes) puisque leur cycle de reproduction restera intact.
En conséquence, les deux seules options actuellement opérationnelles sont :
- la pulvérisation au Deltaméthrine ;
- le procédé RIDL qui fait d’une pierre deux coups. Il élimine de manière sélective uniquement le vecteur Aedes aegypti par un effondrement de son cycle de reproduction et par conséquent aussi TOUTES les maladies vectorielles transmises par cette espèce de moustique. Malheureusement, à cause de la barrière d’espèce, l’autre vecteur l’Aedes polynesiensis ne sera pas affecté par le RIDL car il n’y a pas d’accouplement croisé entre les espèces différentes de moustique. Il faut donc espérer que le pays continuera ses recherches dans le procédé Wolbachia appliqué à l’Aedes polynesiensis afin de compléter notre arsenal de LAV.
D’un point de vue de santé publique, l’aspect opérationnel du RIDL fait donc toute la différence dans cette course contre la montre pour prévenir une épidémie de chikungunya par l’Aedes aegypti.
Comment faire ?
Par exemple, pour un projet pilote sur une île comme Moorea ou Bora Bora, le déploiement nécessitera :
- quatre mois de préavis pour la production et l’envoie des unités de production de moustiques depuis le Royaume-Uni ;
- deux mois pour l’établissement de la production de moustiques localement, la formation du personnel, la surveillance de la population de moustiques et la communication auprès du public ;
- six mois de phase de « suppression » durant laquelle un grand nombre de moustiques Oxitec sont relâchés 2 à 3 fois par semaine pendant 6 mois.
En dernier, la phase de « maintenance » requiert de nouveaux lâchers périodiques de moustiques Oxitec mais à des niveaux réduits. La surveillance de la population de moustiques tient un rôle prépondérant dans le projet. Elle permet d’adapter le niveau des lâchers aux besoins locaux et fournit la démonstration du succès du programme en temps réel. La surveillance est principalement conduite grâce à des pièges pondoirs ou « ovitraps » placés en de nombreux points déterminés par Oxitec. Le marqueur fluorescent des larves (photo ci-dessous) permet de juger l’efficacité du procédé d’élimination.

Cette technique utilise un « système biologique » et une certaine flexibilité opérationnelle est requise. La surveillance de la population de moustiques fournit les informations nécessaires à cette flexibilité.
En résumé, l’approche d’Oxitec pour éliminer l’Aedes aegypti est détaillée en six étapes suivantes :
- Etape 1 : dans le cas d’un traitement d’une île plus petite que Tahiti en utilisant des conteneurs insectariums, la production des œufs de moustique doté du gène fatal se fera dans les laboratoires de recherche d’Oxitec en Europe ou en Amérique latine.
- Etape 2 : affrètement aérien de ces œufs dans des emballages spéciaux. A titre indicatif, la taille d’une tasse de café peut contenir 3 millions d’œufs. Donc le coût du fret aérien sera très minime.
- Etape 3 : positionnement sur les zones géographiques stratégiques des unités mobiles de production (conteneurs-insectariums) qui réceptionneront les œufs importés.
- Etape 4 : éclosion des œufs importés dans ces conteneurs-insectariums et transfert dans un local annexe de 30 m² pour l’élevage de moustiques mâles.
- Etape 5 : lâchés périodiques des moustiques mâles qui ne piquent pas l’homme mais qui transmettront le gène fatal aux larves issues de l’accouplement avec les femelles sauvages.
- Etape 6 : contrôles des résultats sur le terrain pour vérifier l’effondrement du cycle de reproduction de l’Aedes aegypti car les larves qui ont reçu le gène fatal meurent prématurément au stade larvaire par une surproduction d’une protéine non toxique qui disparaît avec l’extinction du moustique.
En revanche, dans le cas d’un traitement de toute l’île de Tahiti, l’étape 1 de produc-tion des œufs de moustiques génétiquement modifiés sera délocalisée dans un centre de production en Polynésie française. Cette option sera justifiée par le besoin d’une production plus importante de moustiques génétiquement modifiés. Auquel cas, les étapes 2, 3 et 4 ci-dessus ne s’appliqueront pas.
Système flexible
Cette solution présente plusieurs avantages pour le pays :
- un risque financier maîtrisé en cas d’un projet pilote sur une petite île : si les résultats sont peu probants (les données au Brésil et aux îles Cayman prouvent le contraire), le projet pourra être arrêté sans que des sommes énormes ne soient engagées sur du long terme.
- un enjeu économique maîtrisable en fonction de l’objectif fixé pour réduire et contenir la population de l’Aedes aegypti à un niveau tel que sa capacité de transmission vectorielle est arrêtée.
L’investissement initial pour une unité de production de moustiques génétiquement modifiés et les coûts de production seront assez élevés pendant les années de lancement et de suppression des moustiques sauvages.
Cependant, ils diminueront de manière sensible durant les années d’entretien visant à maintenir à un niveau bas la population de moustiques sauvages. C’est un important projet structurant avec un transfert du « savoir-faire » d’Oxitec dans notre économie qui apportera :
- La création de dizaines d’emplois permanents (31 pour le cas de Moorea et 18 pour le cas de Bora Bora) avec 70% à 85% du coût annuel de production dépensé dans l’économie locale.
- Une réduction de nos dépenses de santé (impliquées par les épidémies à transmission vectorielle) bien au-delà du coût annuel du projet.
- Une vitrine biotechnologique en matière de LAV innovante.
- Un procédé éprouvé qui réduit la population de l’Aedes aegypti entre 80% à 95% ; ce qui est une réduction largement suffisante pour arrêter et empêcher définitivement la transmission vectorielle. On peut éradiquer à 100% cette nuisance, si le program-me des lâchers de moustiques est intensifié durant sa phase de maintenance car la configuration géographique insulaire du pays s’y prête.
- Une mobilité de production qui permettra de déplacer les conteneurs en fonction des flambées épidémiques localisées.
- Une modulation de la production qui permettra de rajouter des conteneurs en fonction de l’accroissement des besoins.
- Une régression conséquente des épidémies causées principalement par l’Aedes aegypti impliquant à court terme une baisse en centaines de millions de nos dépenses de santé chaque année.
Un projet pilote clés en main peut être envisagé, pour traiter une île entière comme Moorea ou Bora Bora par exemple. Cette option se fera certainement sous la forme soit d’une participation à un appel à candidatures ou appel d’offres, soit d’un partenariat public/privé. Cela supposera également au préalable une adaptation de la réglementation locale pour autoriser le procédé RIDL en Polynésie française et une campagne de communication transparente pour expliquer le projet aux populations concernées.
Pour garantir le résultat escompté, Oxitec conduira ce projet pilote clés en main de l’Etape 1 à l’Etape 4 (voir supra) avec ses propres techniciens qui seront recrutés et formés localement. Le contrôle final des résultats se fera avec la collaboration d’une autorité indépendante pour garantir l’impartialité dans l’évaluation des données.
Sitôt l’efficacité du procédé RIDL démontrée, une reprise du projet pourra être négociée pour que les techniciens de l’Administration du pays puissent continuer le programme d’éradication de l’Aedes aegypti. Auquel cas, le pays jugera l’option la moins coûteuse et la plus efficace pour pérenniser cette mission d’intérêt général, à l’échelle de la Polynésie française.
Conclusion
Le procédé RIDL d’Oxitec est une stratégie de prévention actuellement en déploiement commercial qui propose une substance non-toxique à la place d’une substance toxique. Donc au lieu de pulvériser de l’insecticide à « dommages collatéraux », il est proposé de lâcher périodiquement des moustiques mâles dotés d’un gène fatal pour casser leur cycle de reproduction.
Malheureusement, la contrainte du risque zéro est appliquée à la substance non toxique du RIDL mais pas à la toxicité du Deltaméthrine !
Les nouvelles des dernières épidémies de dengue et de zika ont malheureusement fait le tour du monde dans la toile. En annonçant au monde que l’on sera l’un des premiers pays à avoir maîtrisé le vecteur Aedes aegypti, nous pourrons rassurer nos touristes potentiels et mettre notre destination touristique en avantage concurrentiel par rapport à nos voisins du Pacifique, qui sont aussi très touchés par des épidémies galopantes de maladies transmises par le moustique (voir communiqué du Secrétariat général de la Communauté du Pacifique daté du 7 avril 2014).
C’est donc aussi l’avenir de notre tourisme qui est en jeu dans cette nouvelle stratégie de prévention.
Postface :
Malheureusement, selon la frise chronologique en bas de la carte ci-dessous de l’Organisation Mondiale de la Santé (WHO) datée du 14 avril 2016, la Polynésie française est maintenant mondialement connue pour avoir été en 2013 le foyer initial de la pandémie du Zika. Quelle triste référence pour notre industrie touristique.

Voir aussi le livre « ZIKA, The emerging epidemic » de Donald G. McNeil Jr aux pages 8-9.
